On est 30 millions, faut se parler
Avant de vous dire tout le bien que je pense du Centre de la francophonie des Amériques, voici une anecdote qui montre le vide qu’il doit combler.
Il y a quelques années, au cours d’un reportage, j’avais découvert les écoles d’immersion française au Canada. Dans les provinces canadiennes, plus de 300 000 jeunes, anglophones pour la plupart, sont scolarisés en français dans les 2000 classes d’immersion des conseils scolaires anglophones. En visitant quelques classes, j’avais été frappé par la carence de manuels, de livres, d’affiches du Québec. Le matériel français, lui, était abondant.
Quelques mois plus tard, je m’en étais ouvert à un haut fonctionnaire à Québec. Ne serait-ce pas une bonne idée de distribuer des photos du Québec dans ces écoles ? Réponse du fonctionnaire : « Oui, mais les écoles, c’est Éducation. Les affiches, c’est Tourisme. Hors Québec, c’est Affaires intergouvernementales canadiennes. »
Pour sortir des silos
Le Centre de la francophonie des Amériques (CFA), créé en 2008, vise justement à corriger ce problème de silos ministériels. Les 20 à 30 millions de francophones des Amériques ne forment pas le plus gros bataillon parmi les 275 millions de francophones dans le monde, mais c’est notre arrière-cour. Le mandat du CFA, c’est d’animer et de faire réseauter tout ce beau monde entre l’Alaska et la Terre de Feu et d’un océan à l’autre. Pour paraphraser la célèbre pub de Labatt : on est 30 millions, faut se parler !
Depuis six ans, la quinzaine d’employés de cette agence, située côte de la Fabrique à Québec, accumulent les réalisations : une « Radio jeunesse des Amériques », un concours de « Twittérature », un « Forum des jeunes ambassadeurs », une « Université d’été », une « Assemblée parlementaire des Amériques », des rendez-vous littéraires, des spectacles en veux-tu en v’là, une « Bibliothèque numérique des Amériques », alouette !
« On trouve tout le temps du neuf », dit Denis Desgagné, p.-d.g. Il est tombé en bas de sa chaise en découvrant l’existence d’un programme radio francophone au Costa Rica, « Échos francophones », qui existe depuis 60 ans ! Cet ancien directeur général de l’Assemblée communautaire fransaskoise, nommé au CFA en 2010, n’avait pas non plus imaginé que la littérature prendrait une telle ampleur : « On travaille à créer un service d’édition pour les auteurs francophones qu’on pourrait mettre en ligne à travers la Bibliothèque numérique. »
Avec les années, les liens s’étoffent. Cette semaine encore, lors de la visite de Clément Duhaime, administrateur de l’OIF, c’est l’Université de Montréal qui a demandé à la « Radio Jeunesse des Amériques » de retransmettre sa conférence. Clément Duhaime a répondu à quelques questions venant du Brésil et de la Louisiane. Toujours en ce qui concerne la radio, Haïti et la Louisiane ont demandé de pouvoir agir comme têtes de réseau, et le Costa Rica, seul pays d’Amérique latine où le français est obligatoire au secondaire, voudrait faire de même.
Sage-femme
Le CFA réussit tout cela — et davantage — avec un budget minuscule : 2,7 millions de dollars pour l’année financière actuelle. « J’avais plus de moyens quand je dirigeais l’Assemblée communautaire fransaskoise. »
Pour pallier cette situation, Denis Desgagné multiplie les partenariats, plus de 200, avec des institutions aussi diverses que le Centre culturel haïtien à Miami, TFO, la faculté de langues étrangères de l’université de La Havane, le Musée de la personne de São Paulo et l’École Claire Fontaine en Californie. « Parfois, nous nous accrochons à un projet existant. Parfois, c’est nous qui le lançons. L’idée est de trouver ceux qui savent faire. »
Le CFA joue également le rôle de sage-femme dans la création du Réseau de l’économie sociale et solidaire de la francophonie des Amériques. « À l’origine, c’était entre Haïti et le Québec, mais les Mexicains sont très intéressés, raconte Line Gigault, la coordinatrice aux communications et édimestre. L’idée, au fond, c’est que le français devienne la courroie de transmission. » Même topo pour un projet de la coopérative québécoise Éducation internationale visant la formation des étudiants en technique de l’Ouest canadien.
Autre surprise de Denis Desgagné : le CFA devient une marque. Les francophones à Miami et en Argentine voudraient créer un CFA local, autonome comme une Alliance française, mais avec une vocation plus francophone. « Ils cherchent une formule qui leur ressemble et ils voudraient s’inspirer de nous. »
Pour en revenir à mon anecdote de départ, ça ne sera jamais le travail du CFA et de Denis Desgagné de distribuer des affiches du Québec dans les classes de français de Patagonie à Prince Edward Island. Mais si quelqu’un veut le faire, il y aura quelqu’un à Québec pour aider.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.