Le cocon feutré de l’intimité

Ce doit être un des effets secondaires du vortex polaire, ce repli sur soi. Ou bien une façon qu’a le mental de se protéger contre les éclats de folie pure et dure qui nous parviennent d’un bûcher barbare. On se réfugie en soi, à l’intérieur. Du latin intimus, « qui est le plus à l’intérieur ». On s’aménage un refuge et on s’y pelotonne. Temporairement autistes par choix, on se roule en boule comme un chat et on attend des jours meilleurs.
Ce faisant, on rend grâce à l’épaisseur de ouate au dehors, le sas acoustique des doubles vitrages, le détour que fait le son, étouffé par le crépitement du feu ou le souffle de l’air chaud central. Davantage musique de chambre qu’orchestre symphonique, l’intimité se caresse, se savoure et se partage rarement. On y plonge, comme dans un livre.
D’ailleurs, même sur les doigts d’une main, il y en a déjà trop. Les intimes, dit-on… pour exclure la banlieue, dresser une frontière bien étanche entre ceux qui détiennent un passeport et ceux qui seront tenus gentiment à l’écart.
C’est beau, l’intimité, douce ou intense, fragile aussi. Et cela s’explique difficilement à qui n’en a jamais goûté le miel sauvage. À preuve, à une semaine de la Saint-Valentin, je reçois quantité d’ouvrages sur l’amour et le couple, jamais rien sur l’intimité, ou si peu, comme si la nommer pourrait en souligner l’absence.
On confond souvent l’intimité et les amoureux. Une psy m’a déjà fait remarquer qu’elle rencontre beaucoup de couples en thérapie, mais que peu d’entre eux sont véritablement intimes. On peut côtoyer un conjoint durant 60 ans et mourir comme deux inconnus.
On peut rester étranger à soi-même aussi, ne pas oser se connaître. Mais tous, nous avons un petit jardin secret, une île où nous réfugier. Cela pourrait être l’habitacle de l’automobile, ce confessionnal mouvant si propice aux échanges intimes, ou le lit d’une baignoire, le creux d’un matelas, des écouteurs, un coussin de méditation, les pages d’un journal « intime », l’antre d’un regard, un pyjama.
Le pyjama est l’emblème officiel de l’intimité.
Préserver l’intime
En cette époque où l’on s’affiche, soi et son intérieur, sur la place publique des réseaux sociaux, il demeure peut-être utile de rappeler combien l’intimité est un espace vulnérable et nécessaire. Toutes les vedettes savent cela et doivent composer avec l’envahisseur.
Certains humains l’évitent, inconsciemment ou non, et renoncent à s’investir réellement, multipliant les amours impossibles et les relations fuyantes. Car l’intimité est dangereuse ; elle nous dénude l’âme.
Un intime, c’est quelqu’un avec qui l’on peut douter, ne plus briller de tous ses feux, laisser tomber les masques. C’est cet Autre qui entend les fluctuations dans notre voix.
J’en connais qui sont plus intimes avec leur vapoteuse ou leur chien qu’avec leur conjoint. L’intimité se tisse entre deux personnes au fil des épreuves bien plus que des bons coups. Les malheurs, lorsqu’on les surmonte, rapprochent. Parfois.
Les échanges épistolaires aussi nous rendent enclins à l’intimité. Mon mari et moi avons échangé au « vous » durant deux mois avant de nous rencontrer au « tu ». Bizarrement, au fil des mots, nous étions devenus intimes malgré nous. Et cette intimité n’a cessé de croître avec le temps. Il ne faut pas confondre intimité et symbiose. On peut très bien laisser entrer quelqu’un sous sa peau sans être constamment en mode fusionnel.
L’intimité est à la fois une inclinaison de l’âme et un rapprochement des corps, si affinités. Et l’amour physique n’atteint jamais d’aussi grands sommets que dans la véritable intimité. Mais on peut parfaitement faire l’amour sans être intimes. C’est d’ailleurs ce que beaucoup de gens tentent d’expliquer à leur partenaire régulier lors d’une infidélité. Ce n’était que purement sexuel, chéri(e)…
Les yeux dans les yeux
Le soir de notre première rencontre, deux mois après les échanges épistolaires, j’ai proposé à l’homme qui allait devenir mon mari un jeu tout simple. J’avais lu, dans je ne sais quel bouquin, qu’on peut provoquer l’amour d’un étranger en le fixant dans le blanc des yeux durant quatre minutes consécutives, en restant muets.
En fait, l’expérience a été conduite en laboratoire, il y a une vingtaine d’années, par le psychologue américain Arthur Aron. Selon ses recherches, si vous partagez des détails intimes avec un parfait inconnu durant 30 minutes, puis que vous regardez cette personne dans les yeux durant quatre minutes, sans échanger un mot, vous tomberez amoureux à coup presque certain.
J’ai donc testé l’improbable astuce, il y a six ans, en ne disant pas à mon futur époux pourquoi je lui proposais ce jeu. Je le lui ai appris lorsqu’il a accepté ma demande en mariage, deux semaines plus tard.
Je lui ai demandé, la semaine dernière, ce qu’il avait pensé de cette approche inconfortable entre deux personnes qui se rencontrent pour la première fois. « J’ai pensé que tu étais folle. Et je le pense toujours ! »
Évidemment, on pourra avancer que nous étions déjà amoureux au moment de faire le test des quatre minutes et que cela n’y aurait rien changé, mais j’aime m’imaginer que j’ai déjoué le destin en créant une intimité forcée. Peu m’importe, au fond. Ces quatre minutes qui peuvent s’avérer assez déstabilisantes — sans compter qu’elles durent loooooongtemps — ont scellé un pacte entre nous.
On oublie tant de baisers et de querelles inutiles sur le difficile parcours d’aimer. Mais je n’ai jamais effacé de mon esprit ce moment. Si l’amour est un coup de dés, autant que ce soit également un coup de tête et un coup de coeur. Mais ce peut aussi n’être qu’un coup du sort.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.
La poésie, c’est tout ce qu’il y a d’intime en tout

D’une part, certains se réclament de la maladie mentale pour invoquer la non-responsabilité (les cas Guy Turcotte et Magnotta). D’autre part, on emprisonne de véritables malades. Ainsi, nous serions passés de l’échec de la désinstitutionnalisation des malades à la transinstitutionnalisation, un mot imprononçable de 26 lettres pour expliquer qu’ils ont transité de l’hôpital à la rue… à la prison.
Mongrain rencontre nombre de malades en institution carcérale, ou qui en sont sortis. Ses entrevues avec l’ex-conjointe de Guy Turcotte, Isabelle Gaston, et avec le Dr Yves Lamontagne, psychiatre et ex-président du Collège des médecins, sont particulièrement à-propos. Un film sur un sujet tabou, qui ne répond pas aux questions mais qui les pose à voix haute.
À Canal D, le 8 février à 19 h. Rediffusion les 12 et 13 février.
Lu cet article dans la rubrique « Modern Love » du New York Times (9 janvier 2015). Une jeune femme tente le test des quatre minutes avec une vague connaissance universitaire dans un bar, après avoir répondu au questionnaire du psychologue Arthur Aron. Ça se termine comme on pense. Les 36 questions intimes auxquelles répondre avant de se regarder dans le blanc des yeux.
Aimé la réédition du livre du psychologue Jean-François Vézina, L’aventure amoureuse. De l’amour naissant à l’amour durable. Ce best-seller (en Europe aussi) est désormais préfacé par le sociologue italien Francesco Alberoni (Le choc amoureux, L’érotisme), qui le conseille comme livre de chevet. « Quand ils tombent amoureux, deux amants construisent une bulle enchantée qui les isole du monde où règne le désir de pouvoir et de domination. C’est une bulle d’intimité, d’unicité, de vérité, de pureté, de sincérité, de passion, de générosité, d’optimisme, de dévouement, de fidélité et de candeur. »
Et vous savez pourquoi ça ne dure pas ? explique Alberoni. Le retour graduel aux vieux comportements, la paresse, le laisser-aller, les jeux de pouvoir, l’égoïsme, le mensonge, la possessivité. « L’état naissant de l’amour est fondé sur la liberté. » Et c’est cette liberté qu’il faut arriver à préserver tout en se donnant à l’autre. Le livre explique bien toutes les dérives possibles sur la carte de Tendre.
Seule la lecture de ses livres nous fait entrer dans l’intimité d’un écrivain et c’est là qu’il est au meilleur de lui-même et qu’il nous parle à voix basse sans que sa voix soit brouillée par le moindre parasite
Les doutes, c’est ce que nous avons de plus intime