C’est pas juste l’économie, stupide!

On accorde volontiers une grande attention aux enjeux économiques en raison de leur importance dans plusieurs sphères de la vie, au point de négliger parfois d’autres enjeux, au moins aussi importants, y compris pour l’économie.

Un organisateur politique de l’ancien président démocrate américain Bill Clinton a dit un jour que tout ce qui compte en élections, « c’est l’économie, stupide ! ». La formule en est tellement venue à résumer l’une des grandes vérités de nos sociétés qu’elle est sans cesse reprise, depuis, lorsqu’on veut rappeler l’importance centrale que devraient occuper les enjeux économiques pour les gouvernements et dans le débat public.

Cette vision des choses s’incarne tous les jours. Combien de fois suffit-il d’évoquer un argument économique — bon ou mauvais — pour clore un débat sur n’importe quel enjeu ? Ce phénomène est particulièrement courant en période de difficultés économiques — grandes ou moins grandes. Dans ce cas, les enjeux et priorités économiques étroitement définis (croissance, équilibre budgétaire, inflation, compétitivité commerciale, emplois) semblent toujours devoir prendre le pas sur tout le reste. Comme si les questions d’inégalités, d’éducation, d’environnement, de démocratie ou de culture n’étaient pas aussi importantes, n’avaient pas aussi des implications économiques.

La Parole de Davos

 

Grands prêtres de l’économie mondialisée, les organisateurs du Forum économique mondial de Davos ont dévoilé, cette semaine, l’un de leurs rapports phares qui dressent chaque année, depuis 10 ans, le classement des principaux risques mondiaux en matière de probabilité et d’impact potentiel, selon 900 experts issus non seulement du monde des affaires, mais aussi des universités, des ONG, des gouvernements et des organisations internationales. « On assiste à un changement radical cette année, y constate-t-on. Pour la première fois de l’histoire de notre rapport, les risques économiques n’apparaissent que marginalement au sommet du classement. »

Témoins, entre autres, de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, de l’effrayante ascension du groupe État islamique favorisée par le délitement des États syrien et irakien, de la surveillance et de l’espionnage informatique de l’agence de renseignement américaine ou encore de la lutte d’influence grandissante à laquelle se livrent les deux superpuissances économiques américaine et chinoise, les auteurs du rapport observent que, « 25 ans après la chute du mur de Berlin, les risques géopolitiques sont de retour à l’avant-scène ».

Les menaces de conflits régionaux entre États et d’effondrement des pouvoirs publics ne sont pas les seuls risques à se hisser au sommet du palmarès de Davos. Les crises liées à l’accès à l’eau arrivent même tout en haut pour leur impact potentiel. Dans la même colonne, on retrouve aussi les épidémies de maladies infectieuses, comme l’Ebola, les armes de destruction massive et l’incapacité de s’adapter aux changements climatiques.

Parlant des risques environnementaux, le rapport du Forum économique constate qu’ils ont eu de plus en plus tendance, depuis dix ans, à déloger les risques de nature économique au sommet de son classement. Il est assez facile de comprendre pourquoi, après la faillite de Lehman Brothers et tout ce qui s’est ensuivi, l’effondrement financier, la montée de l’isolationnisme, le ralentissement de la croissance chinoise et autres crises budgétaires ont semblé obnubiler ses experts en catastrophe.

Le degré de danger attribué à ces risques typiquement économiques a graduellement été dépassé par celui des émissions de gaz à effet de serre, de la perte de biodiversité et des catastrophes climatiques. Comme on l’a vu, le rapport de Davos n’en a pas seulement pour les menaces environnementales et économiques non plus. Les trois dernières années, le risque qui arrivait en tête de liste en matière de probabilité était les disparités de revenu.

De la peur à l’action

Toute cette histoire de classement des risques mondiaux se veut un outil de travail pour aider les gouvernements et les entreprises à se faire une idée plus juste de leur monde, disent les auteurs du rapport. Elle vise aussi à mettre en lumière les liens parfois insoupçonnés entre tous ces facteurs. Qui aurait cru, par exemple, en 2010, que la canicule en Russie aurait un tel impact sur les récoltes de céréales que le gouvernement déciderait d’en bloquer l’exportation, provoquant une flambée des prix du pain dans les pays importateurs comme l’Égypte et y exacerbant le mécontentement populaire au point de déclencher ce qu’on appellera le Printemps arabe ?

La conscience de la menace a permis, depuis dix ans, de faire des progrès par rapport à quelques grands risques économiques, comme l’effondrement de la finance, une inflation incontrôlée, les crises budgétaires et les chocs de prix énergétiques, se réjouit le Forum de Davos. Des avancées auraient aussi été réalisées en matière d’épidémies de maladies infectieuses et d’attaques terroristes, estime-t-on.

Malheureusement, le bilan apparaît beaucoup plus décevant, sinon presque nul, à l’égard de risques économiques comme le chômage et la défaillance d’infrastructures essentielles, de risques géopolitiques, comme les conflits entre États, de risques sociaux, comme les grands mouvements migratoires involontaires, et de presque l’ensemble des risques de nature technologique et environnementale, allant de la destruction d’écosystèmes entiers aux vols massifs de données, en passant par les catastrophes naturelles.

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