Des histoires belles à pleurer

Impossible de rester insensible devant les bébés animaux, encore moins dans les documentaires tels que les séries Le voyage de la vie et Petits miracles de la nature.
Photo: ICI Explora Impossible de rester insensible devant les bébés animaux, encore moins dans les documentaires tels que les séries Le voyage de la vie et Petits miracles de la nature.

Charles Tisseyre parlait depuis trois minutes à peine que les larmes me montaient déjà aux yeux, comme cela m’arrive souvent en regardant Découverte. Sauf que le téléviseur était éteint. Cet homme a un talent extraordinaire, qui se déploie jusqu’à l’autre bout du fil.

Je lui ai demandé comment les documentaires animaliers font pour nous remuer autant. Au détour d’une phrase, il a simplement raconté de sa voix enveloppante le passage d’un documentaire sur une ourse et ses deux oursons.

« À la toute fin, on apprend que c’est le printemps, que les ours sont heureux parce qu’ils sont ensemble. La température s’est adoucie et il y a maintenant de la nourriture un peu partout. Ils sont avec leur mère, probablement pour la dernière fois… »

Ma gorge s’est serrée. La sienne aussi, trahie par mon magnétophone. Il n’y avait pas d’images, mais on voyait tout.

« Juste une petite phrase comme ça peut venir nous chercher. Car, quand on raconte les histoires de ces animaux en parlant de leurs défis et des dangers extrêmes avec lesquels ils conjuguent au jour le jour, on est happés par leur quête.

« Ces documentaires ne vont jamais montrer un animal sans le mettre en contexte, sans qu’on voie la réalité comme il la voit, sans que l’on se mette à sa place. On emmagasine le contenu scientifique sans même s’en rendre compte et c’est dans cette façon de raconter une histoire qu’ils nous accrochent », fait remarquer le journaliste et narrateur, qui a appris avec le comédien François Rozet, tout comme les collègues radio-canadiens de sa génération, à transmettre les odeurs, les images et les sons avec la seule puissance de la voix. La narration lui permet de renouer avec sa formation d’acteur au conservatoire.

Un animal comme les autres

 

La narration n’est qu’un élément des documentaires animaliers qui vient nous prendre aux tripes. Il y a aussi le montage. La musique. Les silences. Les photographes téméraires, aussi passionnés que bien équipés. Un paquet d’artistes orchestrent les documentaires pour créer ces émotions.


« On sait déjà comment les artisans y arrivent dans les séries dramatiques, mais dans le cas des documentaires, on est moins sensible à tout le travail en amont », explique Michel Pelletier, réalisateur et directeur de la programmation d’ICI Explora, chaîne spécialisée en nature et en science, que les spectateurs sensibles reconnaissent par son fort potentiel lacrymal.

« Le docu animalier est le plus brillant des shows verts que tu puisses imaginer. Il n’est pas culpabilisant et vient nous chercher dans l’essence de ce qu’on est, car on est un animal comme les autres. »

Bien que ces docus ne lui tirent pas les larmes, une déformation professionnelle, croit-il, il est touché par le savoir-faire derrière ces leçons d’histoire naturelle et de survie.

Ceux qui parviennent le mieux à nous émouvoir évitent de tomber dans l’anthropomorphisme, ils n’en rajoutent pas trop, souligne Ian Oliveri, chargé de la programmation de documentaires animaliers pour Télé-Québec, que les récits animaliers font rarement pleurer (lire : « C’est déjà arrivé »).

Ce type de documentaires a souvent une structure similaire. « Ils montrent un périple ou une année dans la vie d’un animal, permettant ainsi de créer des moments narratifs qui nous interpellent : la naissance, la mort et, entre les deux, la lutte contre l’adversité. »

Un bébé gnou dévoré par un crocodile sous le regard de sa mère impuissante. Un pingouin esseulé, à la dérive sur la banquise. C’est immanquable, il y en a toujours un qui finit par mourir dans des scènes si crève-coeur que certains préfèrent changer de chaîne plutôt que de se soumettre à l’implacabilité de la nature.

« La solitude, l’abandon, la souffrance sont les grandes peurs des humains, dit Valérie Gosselin, psychologue et fondatrice de la clinique familiale Amis-Maux à Québec. À travers ces documentaires, l’animal, vulnérable et naïf à l’extrême, vit sous nos yeux la pire situation que nous pourrions vivre. »

Bien qu’il n’existe pas d’étude à ce sujet, la psychologue, souvent émue aux larmes par ces films, suppose que ces images nous interpellent par rapport aux blessures vécues dans l’enfance.

Le choc de la réalité

 

La veille de mon entretien avec le directeur d’ICI Explora, j’avais fait mes devoirs en écoutant le premier épisode de la série Le voyage de la vie que la BBC a diffusée cet automne, attirant des cotes d’écoute aussi importantes que 30 vies ou Nouvelle adresse.

Alors que les Québécois l’ont vu en version française samedi dernier, je l’ai visionné en version originale, raconté par David Attenborough, l’homologue britannique de Tisseyre.

Dès les dix premières minutes, les petits de la bernache nonnette doivent faire la chose la plus terrifiante à laquelle un être vivant puisse être confronté à l’aube de sa vie : s’élancer en bas du nid — perché au sommet d’une falaise. Les parents imposent cette chute suicide de 120 mètres à leurs oisillons âgés d’à peine deux jours. Les petits ne savent pas encore voler, mais ils n’ont pas le choix. C’est la seule façon de survivre.

La main me couvrant à demi les yeux, je voyais les petits s’élancer un à un, puis percuter les rochers, mous comme des chiffons, criant sous chaque choc qu’ils encaissaient.

Ces dix minutes les plus terrifiantes du documentaire animalier réunissaient toutes les conditions nécessitant de garder une boîte de mouchoirs à proximité. La confiance aveugle des petits, une musique discrète, des silences et des prises de vue jamais visionnées.

(Dans l’épisode de demain, on assiste à une bataille entre un colibri et un bourdon. Un bourdon !) Tout était parfaitement synchronisé et dosé et je m’en suis sortie plus secouée que peinée. Peut-être était-ce la finale, d’un optimisme inespéré, ou la voix du naturaliste Attenborough, un brin trop candide pour l’issue tragique des images ?

La voix de l’émotion

« L’émotion passe beaucoup par la voix, et la personne qui raconte l’histoire est très importante pour susciter un frisson, reconnaît le réalisateur Michel Pelletier. Les Britanniques braillent quand ils entendent les histoires de David Attenborough [qu’il raconte depuis plus d’un demi-siècle à la BBC]. Depuis plus de 20 ans, Charles Tisseyre crée cette connexion, ce qui fait que tu peux être plus touché par un documentaire. »

Pendant les enregistrements, l’équipe de Découverte doit à l’occasion arrêter quelques minutes sous le coup de l’émotion suscitée par des scènes, tristes ou joyeuses. Avant même qu’ils nous soient racontés, ces récits font parfois pleurer Charles Tisseyre.

« En lisant, je peux avoir les larmes aux yeux et des sanglots dans la voix, et c’est normal parce que ces documentaires sont construits de cette façon. Pour bien les rendre, il faut laisser aller ses émotions tout en les encadrant. »

Quand c’est trop, il s’arrête, se ressaisit.

Puis, comme dans la nature, la vie reprend son cours.

On peut encore attraper le premier épisode «Les premiers pas» de la série Le voyage de la vie, présentée à la chaîne spécialisée ICI Explora, ce samedi à 19h. Le second épisode de cette série de sept, avec la bataille du colibri et un oiseau qui se fait détruire son nid, est diffusé à 19h. Et en anglais, à CBC, le dimanche à 20h.


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