Trolls en boîte
C’est ce qu’on appelle mettre un troll en boîte. Au sens figuré, s’entend. En Australie, une jeune fille dans la vingtaine a trouvé une façon plutôt originale pour faire taire les auteurs orduriers du Web qui profitent de l’anonymat relatif des réseaux numériques pour l’insulter, la menacer, l’attaquer, l’intimider. Elle cherche la mère du pollueur de bande passante puis la contacte pour lui faire part du comportement grossier de son fils.
Je vais le dire à ta mère ! Le geste peut sans doute être qualifié de puéril, mais il semble malgré tout avoir été salvateur pour Alanah Pearce, adepte des jeux vidéo qui partage sa passion sur un canal YouTube tout comme dans des médias locaux. Jeune, vive et en beauté, la chroniqueuse, qui suit de près le monde du divertissement tissé au code binaire, attire forcément, dans un monde qui cultive l’image et l’instant, les regards vers elle, mais pas toujours les bons.
Récemment, dans sa messagerie instantanée, un troll l’a menacée de… viol, en 25 caractères visqueux et avec cette absence totale de subtilité qui accompagne toujours ce genre d’attaque. Un troll de plus, dans un univers où la dématérialisation attise leurs brutalités, et qui cette fois a fait déborder le vase d’Alanah. Elle a traqué la mère de l’épais dans les réseaux sociaux, puis a partagé avec elle la jolie poésie servie par son fils aux filles qu’il ne connaît pas, en ligne.
L’échange, anonymisé pour ne pas faire rimer délation et autojustice avec intimidation et préjudice, a été partagé sur Twitter par la jeune fille, faisant instantanément sensation. Plus de 100 000 personnes l’ont retweeté ou conservé la chose dans leur compte. La mère a dit : « Oh, mon Dieu, quelle merde ! » Note : ici, elle qualifiait sans doute, avec cette formule, l’affaire dans son ensemble plutôt que son fils. « Je suis désolée. Oui, je vais lui parler ». Le tout était écrit en majuscule, pour incarner le cri.
L’anecdote, avec son lustre habilement revanchard, fait sourire, mais elle mérite aussi d’aller plus loin, en devenant une source d’inspiration dans des univers numériques où l’intimidation, l’appel au meurtre, à la destruction, à la dégradation, nourris par le sexisme, oui, mais également la xénophobie, l’intolérance, l’exclusion, le sectarisme idéologique ou la violence banalisée ne doivent plus être tolérés. Et ce, pour éviter que ces nouveaux écosystèmes se fassent asphyxier à la longue par ces comportements délétères. Des comportements étrangement qualifiés d’inacceptables dans les cadres sociaux matérialisés, mais qui, en ligne, induisent souvent l’indifférence ou l’indignation trop timidement exprimée.
Et pourtant, les conséquences néfastes du troll, dans un environnement social où il peut se développer sans problème et y répandre sa frustration mal canalisée, sont facilement prévisibles. L’impunité dont il jouit trop souvent finit par normaliser la radicalisation des idées, le sexisme de bas étage, la xénophobie de salon et de p’tite taverne, et surtout rendre cet odieux un peu plus acceptable aux yeux d’aspirants trolls qui, passeront alors plus facilement de la mauvaise idée à l’acte.
Pis, en laissant libre cours à ses instincts plutôt vils, le troll — tout en se sentant protégé par son écran d’ordinateur, la distance qu’il a avec ses victimes ou le confort et l’intimité de son sous-sol — n’a pas toujours tendance à faire ressortir, pour les mêmes raisons d’ailleurs, le beau chez ses détracteurs et ses proies : la posture morale exacerbée, celle qui peut conduire une société sur la pente glissante de la délation, de la remise en question des principes de justice, du goudron et des plumes, de l’humiliation publique et, du coup, du conformisme et de l’homogénéisation des comportements sociaux, est du nombre. La justification de toutes ces dérives, au nom du bien commun, en fait aussi partie.
Quand on y regarde de plus près, le troll a finalement tout d’une nuisance métastatique, d’un parasite dans le vivre-ensemble, qui, s’il n’est pas arrêté à temps, fait planer un risque de contamination sur les cellules saines. Et son éradication n’est sans doute pas si compliquée que ça.
On aime en effet dire que ce sont les univers numériques, la facilité de la communication dans l’instant et dans la distance, qui surdimensionnent l’ignominie, facilitent la prolifération de ce genre de p’tit gars, sans doute propre de sa personne, capable d’en appeler au viol après avoir croisé le sourire d’une jeune fille parlant de jeux vidéo sur YouTube. Mais dans les faits, ce qui les fait vivre, c’est avant tout le silence.