Môman, j’ai peur

Cette année, l’Halloween, cette vieille sorcière édentée qui fait peur aux enfants en leur rappelant la part du mystère, des caries et de la pénombre dans leur vie, fout aussi la trouille aux grands. Il n’y a pas si longtemps, mon B avait encore peur des monstres cachés sous son lit.
Aujourd’hui, c’est sa mère, un rien parano, hypocondriaque et trop informée, qui épelle des mots qu’elle ne connaissait pas il y a six mois : Ebola, chikungunya, EI.
Ça fait déjà sept ou huit ans que je surveille la progression de la maladie de Lyme vers nos contrées ; je connais même des gens infectés dont la vie en a été complètement chamboulée ; je découpe des articles que j’aimante sur le frigo, nous mettant en garde contre les tiques jusqu’aux premières chutes de neige. Mes hommes (tous des descendants de Rambo) haussent les épaules. Ce à quoi je rétorque : « Ce n’est pas parce que je suis parano que je n’ai pas de raisons de l’être. »
Cette semaine, j’ai franchi un pas de plus dans la névrose après avoir lu qu’un septième cas d’aiguille dans les patates de l’île du Prince-Édouard avait été déclaré : j’ai contacté un spécialiste en terrorisme, une sociologue férue de propagande politique, la présidente internationale de Médecins sans frontières (MSF) et un conteur. Je vous garde les chocolats pour la fin, comme dans le sac d’Halloween.
J’avais lu dans mes recherches que la secte japonaise Aum Shinrikyō avait déjà utilisé la fièvre hémorragique Ebola à des fins de bioterrorisme. Il n’en fallait pas plus pour me donner des sueurs froides. Et si un kamikaze décidait de s’infecter et d’aller répandre ses propres fluides dans le métro ?
Stéphane Leman-Langlois, directeur d’un groupe de recherche sur le terrorisme et l’antiterrorisme à l’Université Laval, m’a rassurée à moitié. « Vous courez plus de risques de mourir écrasée par une machine à boissons gazeuses que vous avez trop secouée (17 cas par an aux États-Unis) que d’un acte terroriste. » Allez dire ça à la famille du militaire de Saint-Jean-sur-Richelieu qui a perdu la vie cette semaine à cause d’un djihadiste local, ou parlez-en à ceux qui étaient à Ottawa mercredi matin.
Quant au bioterrorisme, le prof et criminologue m’a convaincue. « C’est très compliqué de prendre un virus comme l’Ebola pour en faire une arme biologique. Ce n’est pas très contagieux et c’est moins efficace qu’une arme chimique. De plus, ce n’est pas glorieux au niveau de l’image. Les terroristes veulent être perçus en héros. L’Ebola n’est pas assez spectaculaire et ne peut pas contaminer assez de gens en même temps. » Au fond, l’amour fiévreux, comme arme de destruction massive, fait plus de ravages que l’Ebola.
Pas froid aux yeux
La présidente internationale de Médecins sans frontières, la Québécoise Joanne Liu, n’a pas froid aux yeux mais garde ses mains dans ses poches sur le terrain. C’est d’ailleurs ce qu’elle a conseillé de faire à la journaliste Sophie Langlois lorsqu’elle est partie en Guinée.
Jointe à Genève cette semaine, je lui ai parlé des 290 intervenants internationaux (dont beaucoup viennent de Cuba) et des 2000 volontaires nationaux de MSF qui se sont portés présents pour aller éponger des fluides en Afrique de l’Ouest. Ils sont vaccinés contre la peur ?
« C’est une question d’engagement. Personnellement, j’ai eu plus peur en Syrie qu’en Afrique de l’Ouest. J’ai plus de contrôle sur un virus invisible que sur des bombes qui peuvent me tomber dessus. L’Ebola est une excellente opportunité pour la communauté internationale de se préparer à des attaques bioterroristes. Le défi demeure en Afrique de l’Ouest, malgré les deux cas de transmission aux États-Unis. Quand on regarde leurs moyens — quatre ambulances à Monrovia pour un million d’habitants — et leur passé de guerre civile, on peut comprendre que ce ne soit pas facile. »
Joanne Liu souhaite qu’à l’avenir, une entité internationale prenne en charge ce genre d’épidémie. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est tourné les pouces depuis juillet. « Pour Ebola, personne ne s’est senti concerné. Ça n’a pas de sens que ce soient des ONG qui doivent répondre à cette crise ! »
Si grand l’univers et si petit le microbe
Plus portée à craindre les ours noirs de la forêt estrienne que l’Ebola, la sociologue Isabelle Gusse est professeure en sciences politiques à l’UQAM. Elle s’est beaucoup penchée sur la propagande politique ; je me disais qu’elle devait souffrir de paranoïa elle aussi. Pas du tout ! « Le degré de peur est inversement proportionnel aux victimes réelles qui sont ailleurs ! »
Elle parle de nos vies soyeuses qui nous procurent le luxe d’entretenir la peur par médias interposés et elle éteint soigneusement sa télé, qu’elle juge plus contagieuse que l’Ebola. « Nous sommes convaincus de l’infaillibilité de nos systèmes de santé publique et sommes surpris dès qu’il y a des erreurs. Donnons-leur le temps ! Et posons-nous plutôt la question : combien de gens ne sont pas tombés malades grâce à eux ? »
Recontactée après les actes terroristes de cette semaine mouvementée, elle constate que l’Ebola est déclassé dans nos émois : « Les périls sont ailleurs. Nous sommes passés du bioterrorisme à l’autoterrorisme ! » Quant au Parlement comme cible, l’auteure de L’armée canadienne vous parle vise juste : « On touche aux couilles de la nation ! »
La rejoignant sur ce terrain déjà bien achalandé par la psychose collective, mon ami Jacques est un conteur d’expérience et ex-prof en littérature jeunesse qui se porte volontaire pour empêcher les enfants de dormir le soir avec Barbe bleue. La peur, il en fait son beurre.
Pour lui, le mirage du risque zéro est à la base de nos insomnies. « L’Ebola, c’est la peur de l’autre, peur de la vie. Vie et mort sont des soeurs jumelles. L’être humain a besoin d’avoir peur, cela occulte des frayeurs plus profondes. Qu’est-ce que je fais ici ? Pourquoi ? Notre société a développé le culte de la sécurité absolue. Et la peur procure la même adrénaline qu’un sport extrême. Simplement, tu es confortablement assis dans ton fauteuil. » Comme devant un film d’horreur d’ados à l’Halloween.
La peur donne l’impression de vivre à 110 % et les bouddhistes prétendent que nous aimons cette sensation, même négative. Et au final, pendant que nous sommes morts de peur, des compagnies comme GSK (vaccins) ou GOJO (Purell) sont mortes de rire. Le rire de la sorcière édentée.
http://www.youtube.com/watch?v=oI85fRR-9DICe texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.
Mommy, Daddy
Mommy, c’est un film populaire et Mommy Daddy, c’est une chanson écrite par Jules Richer. Chantée par Anne Dorval, elle prend une autre couleur, que lui donnait aussi Pauline Julien en son temps. Cet été, j’ai parcouru en festival l’oeuvre de Xavier Dolan que je n’avais pas vue en entier. Un film déboulant sur l’autre, entrer dans le monde d’un cinéaste aussi pluriel est un luxe. Le film qui m’a le plus marquée esthétiquement demeure Lawrence Anyways ; pour la charge émotive, Mommy. Et un pouce en l’air pour les costumes (de Xavier Dolan aussi), que je trouve toujours audacieux et qui portent leur message muet. Cette recherche séduit mon oeil et mon esprit.Aimé Les acteurs ne savent pas mourir. Récits d’un urgentologue du médecin Alain Vadeboncoeur (Lux). Le chef du service de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal a plusieurs histoires dans son sac et n’est pas étranger au monde des lettres. Il raconte ici les dessous de la fin dans ses multiples détails, biologiques, cliniques, émotifs ou même comiques. « Mon art consiste donc surtout à aider le malade en attendant qu’il se guérisse lui-même. » J’ai souri en lisant « L’homme de Vitruve », pleuré avec « Noël blues ». Vadeboncoeur nous montre la Grande Faucheuse en pleine face et les sueurs froides qui accompagnent son métier chargé d’adrénaline.
Reçu le dernier livre des professeurs Richard Béliveau et Denis Gingras, Prévenir le cancer. Comment réduire les risques (Trécarré). Davantage que les fièvres exotiques, le cancer est devenu la première cause de mortalité dans les pays industrialisés et touchera une personne sur deux. Heureusement, il n’y a pas que la malchance, on peut prévenir. Ce que peu de gens font. On retrouve ici les terrains propices où se développent la maladie (obésité, tabagisme, sédentarité, alcool) et des prescriptions pratiques pour prévenir, surtout au niveau alimentaire, mais aussi dans le changement du mode de vie occidental, le cheval de bataille de Béliveau. Ce livre complète avantageusement les interventions médicales qui se limitent souvent à « on ne fait rien et on attend ».