Quand l’Afrique rime avec fric

Alors que je discutais de francophonie avec des amis l’autre jour, l’un d’eux m’a demandé : « Ils font quoi, en Afrique, à part des enfants ? » En d’autres mots : à quoi ça sert, l’Afrique ? Cela venait de la bouche d’une personne bien informée, qui voyage et qui travaille dans le secteur de la création télé. La réponse, c’est… tout.

Il se développe en Afrique une classe moyenne urbaine qui surfe sur un taux de croissance moyen du PIB de 5 % depuis 15 ans, et qui attire l’attention des investisseurs de partout. Une classe moyenne qui a sauté l’étape de l’ordinateur pour passer à la mobilité, un marché de consommateurs en croissance dans un environnement stimulant et où l’on est sensible à la qualité. Bref, la main que tend l’Afrique ne demande plus l’aumône : c’est une poignée de main !

Cette Afrique qui rime avec fric était au coeur de la Conférence internationale sur l’avenir des médias francophones, qui se déroulait à HEC Montréal début octobre, et qui réunissait une cinquantaine de hauts dirigeants de médias francophones provenant de 18 pays, dont une demi-douzaine de Québécois. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que ce réveil africain soit presque totalement absent de la médiasphère québécoise, qui vit sa révolution numérique comme une crise, alors que le décollage africain présente des débouchés inespérés.

C’est le sens du propos de Sylvain Lafrance, l’ancien bonze de Radio-Canada qui dirige le pôle médias de HEC Montréal et hôte de la conférence. Je résume : « Les médias sont un outil de construction sociale. L’enjeu du numérique n’est pas de savoir ce que fera l’iPhone 7, mais de créer une nouvelle cohésion sociale. »

En d’autres termes, les bébelles numériques servent à autre chose qu’à montrer qu’on est dans le coup. De tous les Québécois que j’ai entendus pendant ces deux jours, un seul, André Provencher de Québecor, avait l’air d’avoir une stratégie d’expansion et de création de marchés nouveaux. Personnellement, je ne compte plus les fois où, depuis dix ans, j’ai évoqué ce potentiel à des journalistes, des rédacteurs en chef, des éditeurs et des propriétaires de médias québécois qui me regardaient avec des yeux de merlan frit.

Or, les occasions sont d’autant plus intéressantes que les Africains francophones sont en train de structurer leur marché médiatique et qu’ils sont TRÈS demandeurs de contenus. L’un des premiers conférenciers était le Sénégalais Mactar Silla. Il a lancé TV5 Afrique, puis deux télés publiques (anglaises et française) au Cameroun. Il planche maintenant sur un nouveau concept de radiotélévision francophone panafricaine au Gabon. Un autre qui m’a scié était Constant Némalé, le fondateur de la chaîne Africa 24, une sorte de RDI privée africaine basée en banlieue de Paris et qu’il a fondée en 2009.

Normalement, des patrons de presse de cette stature devraient être des invités obligés au congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Peut-être avec un petit détour par la Caisse de dépôt, tiens… C’est ce que font les Chinois, les Turcs, les Allemands, les Américains, et bien sûr les Français. Tout le monde veut être en Afrique. Sauf les médias québécois.

Il faut dire que l’exemple vient de haut : le gouvernement du Québec n’a aucune délégation sur le continent. Et le gouvernement fédéral, lui, y ferme des ambassades. Remarquez que l’Afrique, cela demande des efforts et du capital patient. Canal+ est arrivé en Côte d’Ivoire dès 1991. Après avoir tâté le terrain pendant 18 ans et ouvert trois autres filiales, la chaîne a lancé Canal+ Afrique en 2010 avec une offre renouvelée. Son objectif de toucher un million d’abonnés, elle l’a atteint en quatre ans au lieu de cinq. L’Afrique est même devenue le pilier le plus rentable de ses efforts d’expansion. Ça n’a pas besoin de coûter cher. C’est le sens de l’expérience de Dominique Gallet, qui a fondé l’émission Espace francophone sur France 3 en 1982 et qui est reprise dans 40 pays. Il y a des moyens de ne pas engloutir des milliards.

Une autre idée à prix d’aubaine, venue de Constant Némalé : pourquoi pas une agence de redistribution de contenu francophone ? Elle aurait pour vocation de simplement mutualiser des contenus qui ne servent à rien. Achète qui veut. Encore là, les Québécois auraient tout à y gagner.

La myopie des médias québécois envers de l’Afrique est d’autant plus gênante que ce sont les entreprises québécoises qui tirent la charrette des exportations canadiennes vers l’Afrique, avec 41 % des échanges avec ce continent. Et ces entrepreneurs ont d’autant plus de mérite qu’ils évoluent dans un vide où les informations ne circulent ni dans un sens ni dans l’autre, et où la contribution des entreprises québécoises aux échanges vers l’Afrique est de 0,0 %. Avec une pareille mentalité, la langue française n’a vraiment pas besoin de la concurrence de l’anglais pour s’autodétruire !

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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