De Québec à Édimbourg

À une semaine du référendum sur l’indépendance de l’Écosse, les spéculations vont bon train. Alors que la victoire pourrait se jouer dans un mouchoir de poche, chacun y va, au Québec, de ses théories pour expliquer le regain du nationalisme écossais alors que son équivalent québécois est aujourd’hui à bout de souffle.

 

Le premier serait « civique », entend-on dire, alors que le second aurait l’affreux défaut d’être « ethnique » et « refermé sur lui-même ». Ceux qui connaissent l’Écosse savent pourtant qu’il y a beaucoup plus de tartans à Glasgow que de ceintures fléchées à Montréal et que le programme du Scottish National Party n’est pas si différent de celui du PQ depuis 30 ans. On aura compris que ces jugements péremptoires visent d’abord à nourrir la petite polémique locale. Comme si l’on pouvait attribuer l’échec historique de 50 ans de nationalisme québécois — car c’est bien de cela qu’il s’agit — à quelques revirements tactiques ou électoralistes.

 

Ceux qui veulent comprendre le dynamisme du nationalisme écossais feraient mieux de se tourner vers l’Histoire. On ne comprend rien à l’Écosse si l’on ne sait pas que, comme la Catalogne, elle a déjà été indépendante. Le Québec n’était même pas dans les limbes que l’Écosse, alliée à la France dès 1295, était un royaume dont l’indépendance conquise de haute lutte fut reconnue par Londres en 1328. Contrairement aux Québécois, les Écossais n’ont jamais été véritablement conquis. En 1603, l’accession de Jacques 1er au trône d’Angleterre peut même être considérée comme une annexion de la Grande-Bretagne par le royaume d’Écosse. Nation reconnue depuis toujours, les Écossais sont plutôt dans la situation d’un peuple qui songe à récupérer ses billes en se retirant de l’Union que lui imposa l’Angleterre en 1707.

 

Les Québécois, eux, n’ont jamais eu de billes à échanger et une partie d’entre eux n’est toujours pas convaincue d’appartenir à une nation distincte. Contrairement à l’Écosse, au Québec, l’Acte d’union (1840) et celui de l’Amérique du Nord britannique (1867) sont venus sceller la Conquête d’une poignée de colons qui n’avaient pas eu le temps de se percevoir comme un peuple. Autre différence essentielle, dès le XVIIe siècle, grâce à son université, Édimbourg fut un haut lieu de la Renaissance européenne, comme en témoigneront l’économiste Adam Smith et le philosophe David Humes. On ne trouve pratiquement pas trace de telles Lumières au Québec où les rares étincelles furent noyées dans le sang en 1837-1838. Pire, le Québec deviendra le refuge de tous les réactionnaires qui fuient la République et la Révolution, loyalistes américains et religieux français réfractaires confondus.

 

On l’aura compris, l’idée d’être « nés pour un petit pain » n’a jamais effleuré l’esprit des Écossais. Contrairement au Québec qui sera marginalisé pendant deux siècles culturellement, économiquement et politiquement au sein de l’Union puis de la Confédération, l’Écosse a bénéficié de son union avec l’Angleterre en participant largement à l’entreprise coloniale. À titre d’exemple, ce sont des Écossais qui ont fondé la plupart des grandes banques canadiennes. On a beau chercher, on ne trouve pas de grande banque canadienne-française en Inde. On n’imagine pas non plus le leader souverainiste écossais Alex Salmond raconter sans broncher, comme le fit récemment Lucien Bouchard, que ses fils l’ont traité de « loser ».

 

Si le nationalisme écossais a des racines plus profondes que le nationalisme québécois, il affronte aussi un ennemi moins redoutable. La renaissance de l’identité écossaise entre les deux guerres est liée au déclin de l’Empire britannique. Aujourd’hui, l’Écosse affronte un Royaume-Uni depuis longtemps revenu de ses rêves de grandeur où le nationalisme anglais est plus que moribond. Ce n’est pas le cas du nationalisme« canadian »qui peut être virulent et perçoit l’indépendance du Québec comme une atteinte impardonnable à l’unité canadienne. Octobre 1970 est là pour en témoigner. L’esprit orangiste qui prévaut à Ottawa fait plus penser à l’Ulster qu’à l’Angleterre. Contrairement au Canada, celle-ci s’est d’ailleurs engagée de bonne foi à respecter la volonté exprimée par une majorité de 50 % plus un des électeurs. Rappelons de plus que les Écossais ne vivent pas à 30 km de la frontière américaine.

 

Voilà pourquoi, quel que soit le résultat du référendum, les Écossais ont toutes les chances d’en sortir gagnants. Si le Oui perd de justesse, il est évident que l’Écosse obtiendra de nouvelles concessions de Londres. Au Canada, les échecs référendaires de 1980 et de 1995 ont plutôt entraîné un raidissement de la politique revancharde d’Ottawa et une réduction des compétences et de la liberté du Québec.

 

Ces échecs provoquent aujourd’hui un effondrement du nationalisme québécois qui se retrouve dans une situation qui n’est pas sans rappeler l’ère préduplessiste du régime corrompu de Louis-Alexandre Taschereau. Bref, Québécois et Écossais n’ont ni la même histoire ni les mêmes ennemis. Surtout, les Écossais n’ont jamais cultivé cette haine d’eux-mêmes qui est une spécialité véritablement québécoise.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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