Salut, bonsoir!
On nous avait promis du nouveau et de l’inédit, une façon originale de présenter l’information de fin de soirée à la télé. Et c’est exactement ce qu’on semble avoir. Merci, TVA !
Cette révolution télévisuelle a maintenant son symbole, l’équivalent du carré rouge des étudiants, un grand cône orange que la très respectée animatrice Sophie Thibault, transformée en inspectrice gadget des nouvelles, a sorti de son pupitre. Le cône lançait un débat sur le stress subi par les automobilistes prisonniers des chantiers routiers. Les vilaines réactions sur les réseaux sociaux ont vite fait disparaître le recours aux petits objets symboliques. Reste le reste en ondes depuis une semaine.
Le TVA Nouvelles de 22 h en version 2.0 mise sur l’interaction et le commentaire, sur une conversation autour des informations plutôt que sur l’information brute et brutale. Quelques chroniqueurs accompagnent donc Sophie Thibault sur le plateau. À chacun sa spécialité, ad lib, mais tous peuvent intervenir sur n’importe quel sujet. Bref, c’est Salut, bonsoir !, comme il y a Salut, bonjour ! le matin.
De temps en temps, un journaliste intervient pour résumer brièvement une situation, une nouvelle, un commentaire d’internaute. Le public branché est évidemment invité à se prononcer sur une controverse du jour, comme on le faisait déjà au « vieux » bulletin de TVA.
Le public explique d’ailleurs ce qui se passe là comme à Radio-Canada, où une autre mutation est en marche (on y reviendra). Ou plutôt : l’absence de public. Le bulletin autrefois millionnaire a perdu la moitié de ses fidèles depuis le début du siècle.
L’information a déjà été très rentable pour les réseaux généralistes. Le secteur de l’info et des affaires publiques assurait une bonne part des profits et de la notoriété des réseaux traditionnels.
Ce n’est plus le cas. Les chaînes d’information continue et les sites Internet ont pris le relais. D’où cette idée de rejeter la formule traditionnelle des reportages alignés comme des perles ou de la pacotille sur un collier. Quelque chose vient de se casser, de disparaître.
Cela dit, sans fantasmer sur l’âge d’or de l’info au temps des Derome, Cronkite et Cie. Les bulletins étaient-ils si passionnants, il y a trois ou quatre décennies ? D’ailleurs, beaucoup de productions télévisuelles donnent encore de grandes leçons de journalisme. Certains reportages diffusés ici par Al Jazeera, Radio-Canada ou TV5 ne sont pas seulement à la hauteur des productions d’autrefois : ils sont franchement supérieurs en qualité, tant par la forme que le contenu.
Le problème du choix de TVA semble moins dans ce qui disparaît que dans ce qui apparaît. Ce bulletin signale la naissance d’un nouveau genre d’émission d’information de fin de soirée qui emprunte sinon au divertissement, du moins à l’amusement. Le ton en particulier ne trompe pas, et Mme Thibault a eu de la difficulté à s’adapter au tutoiement en ondes.
Cette mixité des genres aurait été impossible dans les premières décennies du média, quand l’information sérieuse servait de caution intellectuelle ultime à ce que le penseur italien Umberto Eco appelle la paléotélé, avide de pédagogie. L’amalgame de l’infodivertissement semble de plus en plus courant, par exemple avec l’émission d’entrevues de Denis Lévesque qui suit le bulletin de TVA.
On peut pousser l’observation plus loin. Au fond, est-ce encore un bulletin d’information ? Cette émission ressemble encore un peu à un journal télévisé. Il y a encore une intro dramatique pour annoncer que les affaires sérieuses commencent. Il y a bien une animatrice hypercompétente, mais elle ne lit plus rien ou presque, pour faire plus naturel. Il y a encore des reportages, mais si peu. Il y a bien des infos, mais surtout des commentaires sur l’info.
Bref, le contenant conserve de l’ancienne manière, tandis que le contenu propose autre chose. Le TVA Nouvelles ne représente d’ailleurs que la dernière mouture empruntée par une tendance lourde de la spectacularisation de l’information, développée depuis longtemps. La mutation a commencé avec les informations de plus en plus locales, pour ne pas dire privées, axée sur les crimes, les accidents, les incendies, le sport et les vedettes, mais aussi les services de proximité, la circulation, la météo, voire la consommation.
Le TVA de 22 h et ses avatars de la journée, comme bien d’autres bulletins, y compris sur les chaînes d’info continue et à la télé généraliste de Radio-Canada se sont vautrés pendant des années dans cette mixture de nouvelles sensationnelles et spectaculaires liées à des reportages plus traditionnels, sur la vie politique ou économique et l’actualité internationale. La tabloïdisation de l’info se poursuit maintenant par d’autres moyens, dont le commentaire des experts et les interventions des badauds. Et on se retrouve donc avec encore plus de bruit rajouté sur du vide.
Il n’y a rien d’innocent. La mutation de l’information va de pair avec la transformation de la société, du politique. Le nouvel avatar du TVA 22 h trahit l’existence d’un vide croissant dans notre monde, le vide croissant de l’objectivité et de la critique, le vide du journalisme.
Le point limite approche. Celui du bulletin de nouvelles sans journalisme, sans nouvelles en fait. On nous avait promis du nouveau et de l’inédit, une façon originale de présenter l’information de fin de soirée à la télé. Et c’est exactement ce qu’on semble avoir. Merci, TVA !