Tout va pour le mieux

Joblo et l’ombrelle du déni. Œuvre composite.
Photo: jacques nadeau le devoir Joblo et l’ombrelle du déni. Œuvre composite.

On aurait pu donner un titre de bluckboster (un terme militaire) à cet été de fin du monde : L’eau chaude, l’eau frette. Bon Cop Bad Cop 2, Les montagnes russes, Il pleut des blinis 3, Vivre est plus facile les yeux fermés 4, Remets ton haut de bikini, ça va cogner.

 

De mémoire de chroniqueuse en jachère, jamais je n’ai ressenti un climat aussi explosif à l’échelle mondiale et locale. L’effet papillon, sans doute. Les mauvaises nouvelles étaient plus contagieuses que l’Ebola et cette pause estivale m’est apparue longue comme un jour sans gluten.

 

Vivement la fin des vacances, qu’on passe à autre chose qu’essayer d’être heureux, désoeuvré, insouciant et léger alors que la planète est à feu et à sang, à hue et à dia, flatulente et pétaradante sous des cieux étonnés mais indifférents.

 

Entre la fièvre épidémique, les tiques qui rendent allergique à la viande rouge — je suis végé, j’échappe à ce traumatisme —, l’Irak, l’Ukraine, Gaza, Céline Dion qui accroche son micro, la Syrie, Ferguson, les futurs retraités déchaînés, le dégazage du méthane dans l’océan Arctique, la fièvre de l’or noir anticostien et gaspésien, la Californie qui s’assèche, la mini-botte de carottes en perte d’érection du marchand bio (Pure) à 4 $, tout juste bonnes à faire du jus, les petites filles chassées de la piscine pour cause d’indécence mammaire et les journalistes qu’on décapite comme des poulets, sans oublier Robin Williams qui décide d’en finir avec le grand cirque ordinaire, mon vieux (pas vous, l’autre!), vaut mieux souffrir de surdité, être aveugle ou simplement couper le son. J’ai tout envoyé valser, sauf la lecture, n’en déplaise à notre ministre de la bolducation.

 

La rumeur du monde

 

Et j’ai tenté tant bien que mal de chasser la rumeur du monde comme une mouche à chevreuil entêtée qui vous tourne autour et hésite quant à sa destination finale. Ça rend nerveux ou adepte de la tapette. La citronnelle, on n’y pense même plus. Trop dangereux.

 

J’ai aussi abandonné l’idée de mettre Poutine au défi du Ice Bucket Challenge; des plans pour qu’il nous fasse une sinusite et ne respire plus par le nez. Je vais plutôt lui envoyer l’autocollant que j’ai appliqué sur le pare-choc de mon auto: « If women ruled the world, there would be no wars. Just a bunch of jealous countries not talking to each other. » J’imagine que j’irais rejoindre les rangs des Pussy Riot si je me baladais avec ça sur ma Lada.

 

Le déni, une arme de protection massive

 

« Vous n’avez pas peur de la mort? », m’a demandé cet été une animatrice de radio. Si j’étais journaliste en Syrie, je lui aurais répondu oui. Et j’ai pensé que certains jours, à l’écoute des bulletins de nouvelles diffusés à son antenne, j’avais davantage peur de la vie. Heureusement qu’il y a le déni. C’est un vieux psy qui m’a expliqué ça l’hiver dernier. Il a utilisé la métaphore de l’abat-jour pour démontrer que l’être humain a besoin du déni pour ne pas être aveuglé par la vérité. Sans déni, c’est l’angoisse totale, on ne voit plus rien.

 

J’ai adapté la formule au soleil et mon ombrelle me sert d’abat-jour portatif. C’est merveilleux de pouvoir se protéger de la brutalité des rayons qui vous dardent. La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil, disait René Char, qui ne portait pas d’ombrelle ni de lunettes fumées en forme de coeur.

 

Et le bonheur ne copine pas avec la lucidité mais est adepte de la simplicité volontaire. Même si vous possédiez trois ombrelles, vous n’y gagneriez rien au change. Au contraire, vous risqueriez de moins apprécier la première.

 

C’est ce que mon économiste de mari appelle l’utilité marginale décroissante, un terme compliqué pour dire que trop de crème glacée, c’est moins bon qu’un petit peu. C’est comme la première gorgée de bière, irremplaçable, ou le premier baiser, inoubliable. Quant à la religion qui nous promet la félicité, par les temps qui courent il vaut mieux ne pas être trop chrétien, juif, yézidi, sunnite ou même américain.

 

Si vous tenez absolument à faire partie d’un groupe religieux, j’ai découvert que les pastafaristes étaient pratiquants d’une religion qui mélange les pâtes et les rastafaris; ils prétendent que la hausse de la température mondiale est due au déclin du nombre de pirates. Leur Bible est disponible sous le titre de Livre saint de l'Église du monstre en spaghettis volants. En date d’aujourd’hui, aucune mort violente recensée.

 

Le bonheur, une absence de malheur?

 

Loin de moi l’idée de donner une recette à quiconque, mais en lisant l’essai de Frédéric Lenoir, Du bonheur, un voyage philosophique, j’ai appris que les études psychologiques montrent que nous nous remémorons davantage les événements négatifs. « La prise de conscience de notre état de satisfaction contribue à accroître notre bonheur. » Ça se résume à être heureux d’être heureux. Il faut s’aider un peu, je crois.

 

Comme l’écrivait Montaigne — cité par Lenoir — dans ses Essais: « Y a-t-il quelque volupté qui me chatouille? Je ne la laisse pas friponner aux sens, j’y associe mon âme, non pour s’y engager mais pour s’y agréer, non pas pour s’y perdre mais pour s’y trouver; et l’emploie de sa part à se mirer dans ce prospère état, et en peser et estimer le bonheur et amplifier. »

 

Ainsi, je me délecte en regardant Tony Accurso se faire asticoter par la procureure Sonia LeBel, j’y associe mon âme et suis heureuse de me mirer dans ce prospère état. Mon grand-père gaspésien me confiait la même chose sur son lit de mort, à l’hôpital, en écoutant Jean Lafleur témoigner devant la commission Gomery : « J’aime mieux être à ma place qu’à la sienne! Moi, je sais que j’ai des chances d’aller au paradis.» J’espère qu’il s’est bien rendu et qu’il y restait de la morue.

 

L’homme est ainsi fait : quand il se compare, il se console. Et quand il se console, il ne remue plus le compost de ses propres malheurs. Quant à moi, puisque vous m’avez posé la question souventes fois cet été : je vais bien. Et j’espère que, malgré tout, cela contribue à vous faire sentir un peu mieux.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

Bonne nuit

– Maman, c’est quoi le sens de la vie?, me demande un B songeur.

– Y en a pas vraiment… (j’aurais pu trouver mieux mais l’honnêteté fait de moi une maman rassurante).

– Ben alors, pourquoi on ne se suicide pas tout de suite?

– Parce qu’on est curieux de savoir s’il y en a un et qu’on arrive parfois à en trouver un ou plusieurs. En ce moment, ce qui donnerait un sens à ma vie, c’est que tu ailles te brosser les dents et te coucher…

Mon B a revu La société des poètes disparus au début de l’été. L’annonce du suicide de Robin Williams l’a plongé dans une tristesse profonde. «Si Benoît Brière se suicide, je vais pleurer pendant un mois!»

Benoît Brière incarnait un prof inspirant dans 30 vies, la saison dernière. Voilà la lourde responsabilité qui pèse sur les épaules des comédiens, des poètes et des parents. Être un héros n’est pas une tâche à prendre à la légère.

Aimé ce tango sur Sway de Dean Martin. Et j’ai pensé à Tony, mon crooner de la semaine, et à Sonia, une Cruella délicieuse. Ça m’a rendue joyeuse en moins de trois minutes.

 

Regardé How to marry a millionnaire avec feues Lauren Bacall et Marilyn Monroe. Lorsque la télé d’été ne propose que du réchauffé, le Hollywood des années insouciantes nous offre une véritable bouffée d’air frais, sans sexe, sans violence ni langage ordurier. Les clichés se multiplient, mais c’est encore plus drôle. Mon B a adoré. Une avenue riche pour les parents de pré-ados et d’ados : revoir ses classiques. On y mesure encore davantage le mal-être de notre époque en perte de candeur constante. Déni? Fuite? Ça change des humoristes.


Savouré Le liseur du 6h27 de Jean-Paul Didierlaurent (édito). C’est le livre de l’été selon les critiques. En tout cas, j’ai apprécié davantage que les 325 premières pages du Chardonneret de Donna Tartt (prix Pulitzer), avec lequel j’ai eu l’impression de perdre mon temps sans grande délectation littéraire. Ce liseur, amoureux des mots et d'une dame pipi, charme tant par l’imaginaire suave que par l’écriture. Et cette description d’une jouissance décuplée, en dégustant des chouquettes dans une toilette publique, résume bien toute l’idée qu’on peut se faire du bonheur. Il vaut mieux un chou à la crème dans un cabanon de jardin qu’un chou à la merde dans un palace.