L’idiot
C’est un idiot et il le sait. Mark David Chapman, qui a enlevé la vie au Beatles John Lennon, la nuit du 8 décembre 1980, au pied du Dakota Building de New York, a admis, il y a quelques jours, qu’il avait été très con, il y a près de 34 ans en pointant son « 38 special » de la Charter Arms Co. sur la célèbre voix d’une génération et en tirant, fatalement, cinq fois dessus.
Devant une commission américaine des libérations conditionnelles, l’homme de 59 ans, qui croupit dans un pénitencier fédéral depuis ce geste oscillant entre l’horreur et l’absurdité, a dit « être désolé d’avoir causé tant de douleur ». « Je suis vraiment désolé d’avoir été si idiot en prenant la mauvaise route pour trouver la gloire. » Pour la huitième fois de suite, il y a plus d’une semaine, Chapman, condamné à la prison à vie, s’y présentait pour réclamer une libération conditionnelle. Après 20 ans de réclusion, il a le droit de le faire. Pour la huitièmefois, elle lui a été refusée.
Dans l’histoire de l’humanité, armes à feu et regrets ont toujours suivi la même trajectoire, un peu en retard d’ailleurs sur celles où projectile et drame, semi-automatique et tristesse, destin et brisé, se trouvent, et auxquelles, le ministre fédéral de la Justice, Peter MacKay, n’a visiblement pas trop pensé en s’affichant la semaine dernière, avec un sourire même pas crispé, portant fièrement un t-shirt de l’Association canadienne pour les armes à feu, la NFA, comme on dit en Alberta.
Le cliché a fait le tour du Web propageant, parfois avec approbation, souvent avec cynisme et condamnation, cette image du Procureur général du Canada avec, sur le torse, un logo mariant pas très subtilement la feuille d’érable canadienne avec une arme semi-automatique. La chose participe à la compagne « no compromise » (pas de compromis) de la NFA qui milite contre le changement de statut de deux types d’armes franchement létales, les carabines Swiss Arms et CZ 858, qu’Ottawa voudrait faire passer dans la catégorie des armes prohibées au pays. Sur la photo, Peter MacKay est encadré par Ericka Clarke et Kurtis Gaucher, deux figures du lobby pro-armes à feu canadien.
Cibler l’ineptie
L’appui tacite d’un membre du gouvernement Harper à un mouvement cherchant à faire rimer liberté avec citoyen armé n’est bien sûr pas très étonnant. Mais il laisse également perplexe, en apportant une autre pièce à l’édification d’un Canada contemporain dans lequel certains courants idéologiques et mouvements sociaux surdimensionnent, sans honte, avec assurance et fierté même, les crimes violents et l’insécurité, à des fins politiques, pour mieux banaliser la possession d’armes à feu qui servent forcément à s’en protéger. Et ce, en avançant souriant à l’encontre des faits.
Le crime est en effet en constante baisse au pays depuis 20 ans, indiquait encore récemment Statistique Canada, un organisme fédéral que le gouvernement Harper devrait un peu moins craindre et un peu plus écouter. Le taux de crimes violents était au plus bas l’an dernier, tout comme les homicides, en baisse constante depuis 1987, indiquent les gardiens du chiffre. La criminalité est même en dessous de la moyenne nationale au Québec et en Ontario.
Dans les pays où la possession, la circulation et l’usage d’armes à feu jouissent d’un cadre franchement plus permissif qu’ici, difficile d’en dire autant. L’actualité récente, en provenance des États-Unis — pour nommer un de ces pays —, en témoigne d’ailleurs. Cette année, au Texas, les enseignants du primaire ont fait leur rentrée avec une arme à feu à la ceinture. Officiellement, c’est pour protéger les élèves en cas d’attaque de tireur fou, un truc qui se multiplie, comme des métastases dans un organisme malade, en milieu scolaire là-bas. Depuis la bouleversante tuerie dans l’école primaire de Sandy Hook au Connecticut (28 morts et 3 blessés), en 2012, 74 autres fusillades ont été perpétrées dans des écoles américaines.
Dérive et fiction
Dans cet univers où l’arme est un droit constitutionnel, les Américains ont 20 fois plus de risque de périr par balle que dans les autres pays industrialisés. Et toutes les réformes visant à encadrer plus sévèrement l’acquisition et la possession d’armes à feu se sont soldées jusque-là par des échecs, prouvant ainsi qu’en matière de défense personnelle et d’armes à feu, toutes les portes ouvertes, comme celles que le fédéral pourrait être tenté d’ouvrir ici, demeurent par la suite impossibles à refermer.
Hasard des calendriers et de la concordance des faits, il y a quelques semaines, Canal D a eu la géniale idée de rappeler à notre bon souvenir, le documentaire Bowling for Columbine du caustique Michael Moore sur l’obsession sécuritaire de ses contemporains.
Le film a vu le jour en 2002 dans la foulée de la tuerie de Littleton, au Colorado, trois ans plus tôt. Plusieurs de ses composantes — l’offre d’un fusil gratuit, au Michigan, par la North Country Bank and Trust, quand on y ouvre un compte, en est une — ont des tonalités surréelles et franchement loufoques, à la lisière de la fiction même pour qui vit de ce côté du 45e parallèle. Et bien sûr, après 114 minutes, on se dit qu’il serait plutôt idiot de chercher à en faire une réalité ici.