Signé Casabonne
Il n’est pas passé à la maison pour jaser, mais c’est tout comme. Différents facteurs permettent d’expliquer cette impression. Citons une écriture parcimonieusement marquée d’une oralité bienvenue, une générosité donnant accès à des zones assez intimes et, finalement, parce c’est plus fort que moi : quand je lis des acteurs, je les entends.
Jean-François Casabonne a récemment publié deux livres aux encore vertes Éditions Somme toute. On a droit à un petit traité un brin pêle-mêle sur l’art de l’acteur, Du je au jeu, et à un étonnant diptyque, Une girafe et un pont, présenté comme la compilation de deux spectacles en chantier créchant dans une zone trouble et assez intéressante, entre récitals, monologues intérieurs et conteries.
Est-il utile de rappeler que Casabonne est un acteur formidable ? Qu’il a apporté son concours à ses beautés scéniques que furent Je suis une mouette (non ce n’est pas ça), Gertrude (Le Cri), le Marie Stuart d’Alexandre Marine, le Projet Andromaque de Serge Denoncourt, Élizabeth, roi d’Angleterre ou Une vie pour deux, pour ne nommer que celles-là ?
Superbe athlète du coeur, donc. Mais qu’en est-il de l’écrivain ?
Passage obligé
De l’aveu de l’auteur, Du je au jeu découle d’un certain nombre d’invitations visant à attirer Casabonne dans les classes de nos écoles d’interprétation à titre de professeur : « Mais je ne pouvais pas faire ce plongeon dans la transmission sans m’être penché par écrit sur le sujet. » Son petit ouvrage n’est pas une méthode ; on le lira plutôt comme une somme d’observations sur l’exercice du métier d’interprète, sur l’éthique notamment. On y sent un réel souci de nommer et de donner, un objectif de passation qui risque d’être atteint, non pas parce que l’ensemble s’avère didactique, mais plutôt riche en formulations susceptibles de frapper favorablement et durablement le jeune esprit avide.
On le sait, Oedipe tua sans le reconnaître son père qui refusait de lui céder le passage.
Celui qui joua le fils de Laïos et de Jocaste sous la direction de Wajdi Mouawad place au coeur de sa réflexion sur le théâtre et sur la vie une riche question émanant de ce noeud dramatique : quelle attitude adopter lorsque l’on doit partager un chemin étroit avec un inconnu s’amenant en sens inverse ? J’avoue moins le suivre lorsque surgissent dans son discours les chakras et le « corâme », des poussées plus spiritualistes dans lesquelles, il est vrai, Casabonne ne s’éternise pas, et ce, bien qu’on les devine fondamentales pour lui.
Parmi ses commentaires les plus lumineux, mentionnons ses propos sur la tyrannie de la limpidité de l’histoire racontée : « Il y a des manières de faire saisir l’insaisissable, et que le mystère mastiqué par la pensée du public dans sa cervelle fascinée devienne évidence. » Cette responsabilité, on s’en doute bien, échoit surtout à l’interprète, considéré comme un créateur à part entière : « Le chemin invisible d’essence qu’il dessine, le public le devine et, sans le voir tout à fait clairement, pressent la charge de grâce qu’il renferme. »
Le non-dit, l’entre-mots, c’est justement selon moi la partie la plus jouissive d’Une girafe et un pont, sorte de concert dans un fauteuil. Davantage que ses poèmes et ses chansons sur des préoccupations diverses – le Québec, l’amour, le territoire –, ce sont les indications scéniques cryptiques ou farfelues qui m’allument particulièrement. Sélection en vrac : « Moi, je continuerais ce qu’on pourrait qualifier de “dansé” » ; « Là, je couperais le silence. Mais en vrai, y en aurait un ben plus long. Style, euh… » ; « J’essaierais avec cette chanson de créer un sweat lodge urbain, un lieu d’incandescence où le monde serait les roches, et moi, le trou. Gros programme. »
Ces éclats à haute teneur en poésie et en humour contribuent, à n’en point douter, à cette quête toute personnelle de Jean-François Casabonne consistant à mettre des mots sur des mouvements et des palpitations tout en reconnaissant que leur pouvoir naît surtout de la part d’indicible qu’ils contiennent.
Du je au jeu et Une girafe et un pont, de Jean-François Casabonne. Éditions Somme toute, Montréal, 2014, 96 pages chacun.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.