La bande de Gaza

«J’ai l’impression que dans les pétards des artificiers qui font trembler nos murs résonne l’écho des obus israéliens, et ça m’écœure.»
Photo: Stéfan/CC «J’ai l’impression que dans les pétards des artificiers qui font trembler nos murs résonne l’écho des obus israéliens, et ça m’écœure.»

À la mi-juillet, à Sherbrooke, chaque soir, on se croirait dans la bande de Gaza pendant une opération de représailles de l’armée israélienne. Boum boum ! Réveillé en sursaut, mon petit garçon se bouche les oreilles et pleurniche. « Pourquoi les feux d’artifice, papa ? » Je lui réponds que certaines personnes, pour s’amuser, ont besoin de bruit. Il leur faut du bruit, et des couleurs. Il n’en faut pas moins pour les intéresser au ciel, leur faire lever la tête du barbecue. Ils ne voient pas le fin croissant de lune, le nuage en forme de sous-marin, la Grande Ourse luttant vaillamment contre l’orgie lumineuse de cette concentration urbaine. Tout comme ils sont indifférents aux va-et-vient du cardinal, à l’hymne minuscule et pimpant du bruant chanteur sur son fil. Ce qu’ils aiment, c’est la beauté facile des grosses gerbes. Les voici qui convergent vers le lac des Nations avec leurs chaises pliantes et des progénitures en remorque, bien fébriles et obéissants, tous ces gogos gagas programmés pour faire oh et ah au bon moment. Mais que peut bien répondre le père palestinien à l’enfant qui lui demande en pleurant, les mains plaquées sur les oreilles : « Pourquoi les bombes, papa ? »

 

Solidarité avec Gaza ? Qu’est-ce que vous diriez d’un peu de silence pour commencer… J’ai l’impression que dans les pétards des artificiers qui font trembler nos murs résonne l’écho des obus israéliens, et ça m’écoeure.

 

Juillet, c’est le mois gluant, le mois de la grégarité, de la bedaine et du six-pack, le mois où le monde sort le plus, se montre le plus, où il s’écoule à ciel ouvert et sur l’autoroute avec ses tatouages, ses tares exhibées, ses moteurs reconditionnés. Un monde de plus en plus difficile à aimer. De plus en plus épidermique, réseauté, branchouillé par tous les pores, catatonique, à l’abri de son environnement immédiat, du coupe-herbe du voisin, du sens de l’histoire.

 

De plus en plus facile à décrire, aussi. David Treuer : « […] petites villes transformées en banlieues, parsemées de concentrations en volutes de maisons toutes identiques, de lotissements et de terrains de golf. […] Les maisons sont plantées en rangs qui se tortillent et tournent autour des ondulations du terrain ; il y a des hectares et des hectares de banlieues en expansion, toutes semblables, disposées à intervalles réguliers, placides. C’est la richesse ordinaire. Et c’est l’Amérique ordinaire. » (Indian Roads, Albin Michel, 2014).

 

Les magasins sont au bout de l’autoroute. Il faut une auto par personne pour vivre là. Le bonheur préfabriqué est un produit d’exportation comme un autre. Bientôt l’Inde, la Chine…

 

Dans Les vents de Vancouver, récit de ses pérégrinations sur la côte du Pacifique et en Alaska, Kenneth White rapporte une conversation entendue au pays des ours Kodiak : « De plus en plus de rapports arrivent, démontrant que nous avons franchi un seuil, atteint un point critique. Cela est dû principalement à l’accroissement d’une seule espèce, et qui plus est, épouvantablement vorace. Un énorme déséquilibre. À ce jour, il y a environ sept milliards d’humains sur la planète, avec un taux de croissance d’environ soixante-quinze millions pas an [sic]. Faites un petit calcul […] — Oui et alors, qu’est-ce qu’il faut faire ? — Réduire la population humaine, bien sûr. Mais qui va en prendre la responsabilité ? Tous les politiciens et les économistes n’ont que la croissance à la bouche. — L’écologie ? — Un effort louable. Mais probablement trop tard. On se laissera imperceptiblement glisser d’une petite apocalypse à une autre, jusqu’à ce qu’arrive la grande. De toute façon, l’humanité préfère continuer à se raconter des histoires… »

 

L’humanité ne se raconte pas seulement des histoires, elle construit aussi des cimenteries en Gaspésie. Le marché est déjà saturé, comme pour le jus de La Romaine ? Pas grave. Tant qu’à rester pris avec les déchets du pétrole de Monsieur Harper, aussi bien les brûler pour produire du ciment, et on utilisera le ciment pour lancer de nouveaux projets de barrages et… et… C’est ça. Cette terre de chômage chronique avec ses grands bouts de nature sauvage restant à polluer était le site tout désigné pour accueillir l’industrie la plus polluante de l’histoire du Québec.

 

Le Parti québécois est le parti du béton. Le Parti libéral est le parti du béton. Et quand la CAQ va prendre le pouvoir, elle sera le parti du béton.

 

Alors aujourd’hui, pas de critique de livre. Assez d’histoires. Le silence, et salut à Gaza.

Les vents de Vancouver

Kenneth White Traduit de l’anglais (écossais) par Marie-Claude White Le mot et le reste Marseille, 2014, 176 pages

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