Grain de sel parfumé

Avec son décor chic et sobre, Le Grain de sel campe dans le quartier depuis une quarantaine d’années. Discrétion et succès peuvent faire bon ménage.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Avec son décor chic et sobre, Le Grain de sel campe dans le quartier depuis une quarantaine d’années. Discrétion et succès peuvent faire bon ménage.

Au sujet de ce Grain de sel, un lecteur, gourmet et habitué de l’endroit, m’écrivait il y a quelques semaines : « Un resto humble, un décor sans éclat ni surprise, un menu simple, des présentations sans esbroufe, un service franc et sans complexe… mais, ultime argument pour s’y rendre découvrir le bonheur, on y trouve du goût. » Je lui répondais en le remerciant : « […] j’y passerai avec plaisir dans l’espoir que mon enthousiasme égale le vôtre. Les bonnes tables méritent que nous nous enthousiasmions. Et que nous partagions. » J’y suis passé, et je partage.

 

Il faut vraiment savoir que ce petit Grain de sel est là tant il est discrètement installé dans le quartier. En fait, depuis près de 40 ans, ce qui tendrait à prouver que la discrétion est garante d’un certain succès et d’une longévité certaine. Il faudrait le mentionner à plusieurs nouveaux restaurateurs qui semblent persuadés que faire beaucoup de bruit garantit la fortune ; l’achalandage à court terme certainement, pour ce qui est du succès à long terme, c’est une autre histoire.

 

Donc, en ce qui concerne ce Grain de sel, vous n’y viendrez certainement pas en hordes, mettre le feu à la boutique sur des rythmes endiablés. Ça s’appelle Le Grain de sel, pas Le Moulin à poivre.

 

Décor chic retenu, accueil à l’avenant. Pour un samedi soir orageux, il y a beaucoup de monde, apparemment des habitués. Peut-être ce lecteur m’ayant recommandé l’endroit est-il là. Lorsqu’il tombe des trombes d’eau à la louisianaise, une salle de restaurant quasi pleine de clients semblant connaître la maison est une indication que la soupe sera bonne.

 

Elle l’était effectivement, en l’occurrence une très belle bisque de homard des Îles, radis, armillaire de miel et purée de panais ; pour la bisque de homard, la subtilité est le plus souvent un signe de maîtrise en cuisine. Trois autres entrées arrivèrent en bon ordre, tout aussi savoureuses. Une tatin de tomates, crème sure et mélasse, tomate cerise de M. Legault et une touche d’os à moelle ; quelques morceaux d’asperges de Saint-Aimé grillées, fraise du Québec légèrement anachronique selon moi, balsamique blanc et fleurette au raifort ; salade de betteraves du printemps (que je m’entête à prendre en saison, pour voir si le chef a du talent ou juste des betteraves), cumin, moutarde et féta double crème. Je confirme que ce chef et sa brigade ont du talent en plus d’excellentes betteraves.

 

Suivirent dans une atmosphère réjouie trois plats qui contribuèrent au bonheur ambiant : une belle assiette de raviolis aux champignons sauvages avec juste ce qu’il faut de sauce au xérès et de parmesan ; un boudin artisanal, accompagné de betteraves rôties et d’une purée de pommes de terre au cheddar fort que Monsieur Jean-Pierre accepta de nous faire goûter, même s’il nous fallut insister, et un plat assez rarement présenté au restaurant : du coeur de boeuf Wagyu grillé. Le chef le présente avec une polenta crémeuse, une touche de moutarde et quelques pleurotes érigés rôtis.

 

La seule ombre au tableau nous arriva de l’Alberta, sous forme d’un agneau servi en surlonge rôtie et qui n’aurait jamais dû quitter cette lointaine province. En chemin, sa viande avait en effet pris une telle odeur que Madame Hélène, distinguée nutritionniste de son état, amie chère et fine fourchette, manqua s’étouffer en en prenant la première petite bouchée. Bons commensaux, nous sentîmes tous les trois l’assiette du bout du nez et, devant le haut-le-coeur général, décidâmes de renvoyer la chose en cuisine, d’où le chef sortit derechef. Excuses catastrophées. Comme le reste du repas se passa dans l’allégresse, je ne voudrais pas insister outre mesure sur ce point. Comme je fais métier de critique, je ne peux pas non plus passer la chose sous silence. Ces choses-là arrivent, même dans les restaurants les plus prestigieux. Le chef enquête et je suis avec le plus grand intérêt ses investigations. J’ai peu d’amis et j’ai donc très hâte de savoir qui a tenté d’empoisonner celle-ci.

 

Trois jolis desserts ramenèrent la bonne humeur : une ganache fumée au chocolat noir, branches de chocolat, brownie maison, bourgeon d’érable confit et sorbet à la prune ; une tarte rustique rhubarbe et fraises du Québec, crème glacée au sucre à la crème et une très belle soupe froide de raisin noir, guimauve au raisin, crème au chocolat blanc infusée au thym, zeste de lime et sorbet à la chlorophylle.

 

Les orages étaient passés lorsque nous quittâmes les lieux.

 

Le Grain de sel, 2375, rue Sainte-Catherine Est, 514 522-5105

 

Ouvert en soirée les jeudis, vendredis et samedis, et le midi du mardi au vendredi.

 

En ce qui concerne la carte des vins, mon éminent collègue de la page gauche dit : « Superbe petite carte à petits prix. Enfin un champagne pas cher (Drappier à 46 $) ! Idée tout aussi heureuse que ces cidres québécois trop souvent oubliés. » Dois-je en rajouter ?

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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