Prêts à tout moment

La semaine dernière, Steven Gerrard, le capitaine de l’équipe d’Angleterre, tentait de résumer la situation sur les Twitters. « Le Brésil, écrivait-il, a Neymar. L’Argentine a Messi. Le Portugal a Ronaldo. L’Allemagne a une équipe. » Peut-être l’increvable vétéran s’était-il un peu laissé emporter par la démonstration affolante à laquelle il venait d’assister, cet impossible 7-1 contre les hôtes brésiliens aussitôt passé à la postérité. Il tenait cependant un argument : la Mannschaft compte des meneurs en vue, les Thomas Müller, Miroslav Klose, Mesut Özil, Philipp Lahm, Bastian Schweinsteiger, Manuel Neuer, mais ce qui impressionne, c’est ce bloc compact, cette cohésion, cette répartition uniforme de la tâche, ce collectif formidablement huilé.

 

Et quelle profondeur. L’entraîneur Joachim Löw l’avait dit avant la Coupe du monde : vu les conditions climatiques, les réservistes allaient être d’une importance capitale et « les 23 joueurs devront être prêts à tout moment ». Il ne relève certainement pas du hasard que les deux architectes du seul but de la finale, André Schürrle filant sur le flanc gauche et servant un centre parfait et Mario Götze récupérant la balle dans l’axe et l’expédiant dans le petit filet, soient entrés dans le match comme remplaçants. Ce dernier n’a que 22 ans, et il a déjà une sacrée histoire à raconter, et notamment qu’il était fin prêt.

 

Pendant ce temps, l’Albiceleste travaillait vaillamment, et on fera valoir avec justesse qu’une joute qui se règle à la 113e minute aurait pu aller d’un côté comme de l’autre. Mais il était évident que tout tournait trop autour de Lionel Messi. Considérant que l’attaquant étoile, l’un des meilleurs joueurs de sa génération, n’a pas fait mouche une seule fois passé la phase de groupes, il demeure quand même remarquable que l’équipe se soit rendue aussi loin. Le pire pour Messi, c’est qu’il n’aura peut-être jamais une autre si belle occasion de compléter son tableau de chasse, auquel il ne manque qu’un Mondial.

 

Pour l’Allemagne, l’aventure qui a connu son paroxysme au légendaire stade Maracanã a commencé avec le fiasco de l’Euro 2000, où elle n’avait remporté aucun match et terminé au dernier rang de sa poule. Non seulement elle ne gagnait plus à la fin, mais elle ne trouvait même pas le moyen de gagner au début. Des changements en profondeur ont été exigés dans l’encadrement du sport au pays. Ç’a donné une finale à la Coupe du monde, mais une autre sortie expéditive à l’Euro 2004. À compter de 2006, on voit la Mannschaft dans le carré d’as de tous les tournois majeurs, mais l’Allemagne ne se satisfait jamais de passer proche, et la voici enfin de retour au sommet. Dans ce qui fut un très grand tournoi, au calibre de jeu extraordinaire et au suspense débordant.

 

Une belle cohésion, donc, mais aussi un souci maniaque du détail. Löw savait qu’il ne serait pas facile pour son équipe de devenir la première formation européenne à remporter un Mondial disputé dans les Amériques, et il a vu se donner le moindre petit avantage. Au centre d’entraînement, l’herbe était haute de 22 millimètres, pas un de plus ni de moins. Le terrain était orienté nord-sud. Et on utilisait du gazon sud-américain parce que celui-ci pousse différemment, selon des sources, que le gazon européen.

 

Mais s’il restera une image de cette finale par-delà le but de Götze, ce sera celle de Schweinsteiger, violemment tombé trois ou quatre fois en prolongation, touché aux jambes, escorté hors du terrain le visage ensanglanté et qui est vite revenu aux affaires. Il la voulait.

 

Il la voulait, et ils la méritaient.

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