Les beaux labos

Il y a quelques restaurants où j’irais manger plus souvent si je ne devais pas courir sans arrêt à travers la ville pour découvrir, goûter, revoir, évaluer. Celui d’aujourd’hui, le Labo culinaire, fait partie du lot, assez petit d’ailleurs, de ceux où j’aimerais vraiment aller plus souvent. Pour manger et pour tout le reste.
La Société des arts technologiques (SAT), qui propose en permanence des activités sautillantes, annonce en ces termes le restaurant qui se trouve dans ses murs : « Laboratoire de création culinaire où les produits québécois sont mis de l’avant » ; c’est quand même vachement songé. Ce Labo culinaire est en effet un endroit lumineux, tant dans les assiettes que dans tout ce qui concourt à rendre intéressante une visite à cette adresse.
Les deux chefs, Seth Gabrielse et Michelle Marek, manient les poêlons avec une belle assurance. Aux premiers jours du Labo, ils cuisinaient sur un quatre ronds électrique standard, sans hotte, et déjà impressionnaient par leur créativité. Aujourd’hui adéquatement équipés, ils réussissent de jolis tours de force.
Menus courts et invitants, produits locaux mis en valeur, astucieuses combinaisons dans les plats, on ressort rarement de chez eux autrement que ravis. Certains plats, tout inoffensifs qu’ils paraissent, sont travaillés avec un soin tel que l’on savoure, étonnés d’être étonnés par tant de simplicité.
La cuisine varie selon des thèmes qui permettent de tirer le meilleur des produits de saison. Ce soir-là, nous étions en Grèce. Quelle bonne idée ! La carte proposait sept plats et on se prend à rêver. On savoure et l’on constate que deux jeunes chefs très canadiens peuvent s’avérer d’excellents ambassadeurs de la Grèce. Cette salade grecque, traditionnelle, tomates, poivrons, concombres, feta et olives, pourrait en effet être insignifiante. Elle ne l’est pas. Plutôt vivifiante et d’un goût remarquable tant les produits sont d’une exceptionnelle fraîcheur et accommodés intelligemment.
Même remarque pour le plat appelé « Horta » qui met en évidence des produits moins connus ou plus rarement utilisés : amarante, scarole, chicorée, épinards, roquette et pissenlit. Beaucoup de fraîcheur là encore, et le sentiment que quelqu’un en cuisine a réfléchi pour que le tout s’assemble harmonieusement et procure un réel plaisir aux clients.
Sur un pain pita fait maison et grillé délicatement, un peu de tzatziki, quelques petites tomates charnues, une touche de citron, quelques feuilles de laitue, une brochette juteuse et l’on engouffre voracement un kebab tout garni d’anthologie.
Entrecôte grillée accompagnée de beurre aux anchois et de persil ou de pommes de terre façon grecque, garnies de piperade, de yogourt, de feta et de fines herbes, et l’on se demande pourquoi c’est si ordinaire ailleurs.
Un seul dessert, mais du genre dont on se contenterait dans bien d’autres endroits. Un petit bol de fraises de Monsieur Legault, quelques cuillerées de yogourt et un petit rayon de miel d’Anicet parfumé de tilleul et de menthe. Simple et de bon goût.
Bien sûr, les menus changeant souvent, vous ne pourrez sans doute pas goûter ces plats-ci, mais je ne doute pas que votre expérience soit moins agréable que la mienne avec ceux qui seront là le jour de votre visite. À titre d’exemple, quelques jours avant cette visite« officielle », j’étais passé, toujours à l’improviste, voir si la maison se tenait toujours aussi bien. Au menu figuraient des écrevisses. En pleine saison du homard, j’avais trouvé la chose si divertissante que j’avais commandé le plat. Des écrevisses, faut le faire. Je ne savais même pas qu’il y avait des écrevisses chez nous. Il paraît que les autochtones en étaient friands bien avant que nous arrivions sur le continent. Celles-ci, des écrevisses à épines rapportées du lac Saint-Pierre par les grands pêcheurs pécheurs de Société orignal, étaient apprêtées avec un petit fond légèrement poivré qui les rendait encore plus savoureuses. Parfois, juste un plat suffit pour classer une maison dans la catégorie « À visiter plus souvent ».
Les chefs ici travaillent dans cette optique et poussent leurs limites toujours un peu plus loin. On les sent curieux, à la recherche de nouvelles propositions originales. Lorsqu’ils mettent une destination sur leur menu, on sait que le voyage sera beau.
Et puis, bien sûr, il y a « tout le reste » : cette belle grande terrasse, par exemple, où l’on se sent ailleurs, bien et ailleurs, dans une autre ville, un autre pays, une autre dimension. À l’ombre de la Satosphère, cette immense boule où l’on projette des spectacles hallucinogènes, une belle faune donne un ton détendu ; ce service amicalement retenu et vigilant sans retenue ; cette carte des vins — dont mon collègue monsieur Aubry dit le plus grand bien — composée presque ’exclusivement de petits crus en importation privée. À ce propos, vous apprécierez comme moi le travail de Maude Rochette, la tire-bouchonnette locale, qui privilégie les importations privées (90 à 95 % de sa carte) et travaille avec les meilleures agences en ville, Ward et associés, Primavin, Vini-vins, Oenopole, Vin libre, pour ne mentionner que celles-ci.
Labo culinaire, 1201, boulevard Saint-Laurent, 514 844-2033
Ouvert du lundi au vendredi de 17 h à 22 h.
Si vous preniez tous les plats au menu, l’addition atteindrait 70 $, ce qui est très raisonnable compte tenu de la qualité de la cuisine. Bien entendu, vous prendrez cela comme excuse pour tomber dans les boissons délicates, rouges et blanches confondues, proposées par la maison. Exercez votre bon jugement et passez une excellente soirée.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.