Le déni des externalités!

Les « messagers de l’apocalypse climatique » ne sont plus des environnementalistes ou des scientifiques. Le monde des affaires a récupéré le thème, de façon remarquée la semaine dernière, appelant les décideurs économiques à la mobilisation.

Selon la définition généralement acceptée, on parle d’externalités en économie lorsque les actions d’un agent économique ont un impact positif ou négatif sur le bien-être et le comportement d’autres agents et que cet impact n’est pas pris en compte dans les calculs de l’agent qui le génère. Trois personnages influents du monde des affaires américain ont pris l’initiative de commander un rapport sur les conséquences du réchauffement climatique sur l’économie américaine. Pour emprunter à la mathématique, ne pas tenir compte de la valeur actuelle des externalités négatives venant de l’environnement en général, de l’impact du réchauffement climatique en particulier, relève désormais du déni.

 

Le rapport Risky Business, dont les conclusions ont été dévoilées la semaine dernière, s’appuie sur de grands noms. Ses commanditaires : Henry Paulson, ancien secrétaire du Trésor de George W. Bush et ex-dirigeant de Goldman Sachs, Tom Steyer, un important bailleur de fonds du Parti démocrate et ex-patron d’un fonds spéculatif ayant fait sa fortune dans le pétrole, et Michael Bloomberg, un républicain ex-maire de New York et fondateur de l’agence de presse financière Bloomberg. Son comité des risques est notamment composé de George Shultz, secrétaire au Trésor sous Richard Nixon, de Robert Rubin, qui a occupé les mêmes fonctions sous Bill Clinton, et de Gregory Page, un important bailleur de fonds du Parti républicain et dirigeant de Cargill, une firme spécialisée dans le négoce de matières premières agricoles. La nouvelle vocation de ce groupe aux intérêts politiques polarisés est peut-être venue sur le tard, selon les reproches formulés depuis. Mais l’effet surprise a une portée sensibilisatrice.

 

D’autant qu’auparavant, le creusement des inégalités venait de supplanter l’effet des changements climatiques au sommet de la liste des grands périls de la planète établie auprès de 700 experts sondés par le Forum économique de Davos. Certes, les écarts grandissants de revenus entre riches et pauvres, la disparition de la classe moyenne et le chômage structurel, particulièrement sensible chez les jeunes, sont des enjeux économiques et sociaux de première urgence. Mais il y avait risque qu’ils accaparent toute l’attention de gouvernements plutôt obnubilés par le court terme de leur mandat. Le rapport ramène les préoccupations environnementales à l’échelle de l’immédiat.

 

Aux limites du PIB

 

Surtout, cette sortie venant des rangs démocrate et républicain pousse aux limites de cet instrument de mesure qu’est le PIB et vient confiner l’indice de développement humain dans un rôle transitoire conduisant au calcul de l’indice de progrès véritable (IPV). Sur son blogue, Harvey Mead, ancien commissaire au développement durable du Québec, aime bien faire ressortir que, derrière une multiplication par près de deux du PIB américain en quelque 40 ans, se cache un IPV en définitive stationnaire. Mais en intégrant une actualisation des externalités, la croissance officielle ferait place à une décroissance s’apparentant à une longue dépression.

 

À titre d’illustration, uniquement pour les engagements sociaux, le département du Trésor américain a déjà estimé que la valeur actuelle des obligations non financées s’élève à environ 40 000 milliards, soit grosso modo trois fois la taille actuelle de l’économie américaine. Il en ressort des difficultés grandissantes de poser le bon diagnostic de l’état de santé de l’économie avec un PIB cachant des enjeux structurels à ce point criants. D’autant que cette distorsion est amplifiée par les coûts futurs non comptabilisés des impacts environnementaux des choix faits et non faits, présents et passés, suggère aujourd’hui Risky Business.

 

L’évolution des mentalités fait son chemin. Encore en juin, l’Organisation de coopération et de développement économiques invitait les États-Unis à la prudence dans le développement de leur filière gaz de schiste tout en rappelant le Canada pétrolier à ses responsabilités face à ses émissions carbone. Un « combustible de transition » devant mener à l’abandon des énergies fossiles, disait l’OCDE aux États-Unis, les invitant à penser aux conséquences à long terme et aux générations à venir avant de s’aventurer tête baissée dans l’aventure gazière.

 

Certes, beaucoup de discours que tout cela, et toujours rien de contraignant. Mais comment infléchir le leadership politique autrement ?

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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