Quatre pages
Chronique parcellaire pour mieux entretenir le déficit d’attention. Imaginez quatre pages ouvertes sur votre fureteur Internet.
La première à propos de deux pièces du Carrefour international de théâtre de Québec, oeuvres elles-mêmes hachurées, découpées comme des boules à facettes qui éclaboussent d’une lumière tranchante le Web, les réseaux sociaux ; cette obsession du miroir et de la vitrine qui infeste les interweb.
Elles s’appellent Cinq visages pour Camille Brunelle, et le iShow. Je suis ressorti de la première écoeuré par l’étalage de mensonges, par la mise en scène permanente de soi qui vire au grotesque. De la seconde, avec dans les bottes des montagnes de questions, comme aurait dit Bashung. Puis qu’est-ce qui nous tracasse tant avec les technos ? Que le message, ce soit justement le média, et donc un code, un algorithme ?
Les deux pièces ont un peu plus d’un an. Originalement produites au même moment ou presque, elles n’ont à peu près pas vieilli, sinon qu’ont depuis explosé la messagerie éphémère Snapchat, très prisée des ados ou des financiers qui souhaitent faire disparaître les traces de leurs entretiens, et les applications à la Tinder qui sont en train de transformer le marché de la viande. Je veux dire de la rencontre.
Pour le reste, sans m’avoir jeté par terre, les deux oeuvres exposent parfaitement la purée de pois dans laquelle on navigue lorsqu’il s’agit de fabriquer un peu de sens avec ces phénomènes technologiques.
Peut-être, justement, parce qu’ils ne sont qu’un outil. Peut-être parce que la fonction ontologique du Web, des téléphones intelligents, de tout ce bataclan qui hurle, bipe, hulule, c’est de rappeler ce que nous sommes. Et donc, d’induire le même état d’hébétude qui habite l’humain depuis la plus lointaine Antiquité. Depuis qu’il s’observe lui-même.
Derrière la lueur des écrans, les pouces en l’air et les algorithmes, il est toujours question d’amour, de mensonge, d’amitié, de secrets. De comédie. De drame. De vanité. De solitude, même dans la foule. De ces deux pièces, d’ailleurs, j’ai finalement retenu les histoires, les personnages. La dramaturgie, et pas beaucoup du reste.
Sauf peut-être pour un truc. Le sexe. Surtout dans le iShow, où les branlettes du réseau Chatroulette sont omniprésentes. Ce qui n’est pas innocent ni racoleur : le Web est un amplificateur à cul incroyable. Il occupe la même fonction pour tout le reste, mais au-delà de la circulation de l’information, du téléchargement et des réseaux piratés qui me permettent de regarder les courses de vélo sans payer 20 $ par mois pour le seul forfait qui me permet, chez Bell, d’obtenir RDS, il occupe deux fonctions principales : vendre et exciter. Ce qui revient au même.
J’y pensais en lisant le papier de ma collègue Catherine Lalonde, jeudi, à propos de la poète protopunk Josée Yvon, dont elle cite un passage : « Quand l’ennui prend la forme d’un horaire […] / la performance tient lieu d’identité : on a besoin d’un peuple débandé pour la routine. »
Le Web a modifié la condition de notre torpeur. On s’ennuie toujours autant, on a seulement échangé l’impuissance pour le priapisme.
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L’autre principale révolution, c’est la possibilité de s’exprimer sur tout, partout, tout le temps, sans restriction ou presque. C’est un peu comme Chatroulette, d’ailleurs. On se caresse l’ego en bas de page en espérant que cela amuse la galerie. Ou pire : on profite de l’anonymat pour y déverser sa bile — petite violence ordinaire du Web.
C’est peut-être la rectitude politique qui nous avait fait oublier notre véritable nature. Encore là, l’extrême liberté de cet espace nous rappelle à nous-mêmes.
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Ça a parfois du bon, les commentaires de lecteurs, remarquez : merci à celui qui a souligné mon erreur la semaine dernière. Selon le sondage de La Presse, c’est à environ 30 % que les 18-24 ans s’affichent en faveur de la souveraineté. Pas 16 %. Cet appui moribond, ils le réservent au Parti québécois.
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Avant la tyrannie du vox pop — en ligne ou pas —, il n’y avait que les personnalités publiques qu’on invitait à exposer publiquement leur indigence intellectuelle. Dans une entrevue au Journal de Montréal, le chanteur Boom Desjardins est venu grossir les rangs de ceux-là en affirmant cette semaine qu’il ne s’est rien fait de valable en musique au Québec depuis Kaïn.
Et les commentateurs en bas de page étaient là pour le défendre. « BRAVO BOOM chu daccor avec toi !!! CÉ VRAI que cé la marde asteur… té pas gêné de dire ce que tu pense et je suis 100 % avec toi », a écrit Anna.
On la félicite elle aussi pour son lumineux apport à la démocratie, en dépit de ses erreurs les « plusse pires ».