Dix romans pour les beaux jours d’été

Parmi les romans d’auteurs québécois parus au cours des derniers mois, en voici dix pour accompagner votre été, sous le signe de la diversité.
Malabourg, de Perrine Leblanc (Gallimard)
Après s’être immiscée dans l’enfer des goulags soviétiques de la Sibérie avec L’homme blanc (Quartanier), Grand Prix du livre de Montréal et Prix du Gouverneur général, Perrine Leblanc parvient à se renouveler de remarquable façon avec ce deuxième roman. On croit d’abord lire un thriller en bonne et due forme, scènes d’épouvante incluses : trois jeunes filles sont victimes de meurtres en série à Malabourg, petit village fictif de la Gaspésie balayé par la mer. L’auteure va jusqu’à faire parler les mortes en se mettant dans leur peau. Beaucoup de sensibilité derrière tout ça malgré l’horreur, la violence. Puis, surprise, déroutante sur le coup : la deuxième partie du roman change complètement de ton, de registre. Nous voici à Montréal, quelques années plus tard, en présence de deux jeunes qui ont quitté Malabourg. Avec en arrière-plan le printemps érable, nous assisterons à l’éclosion d’une grande histoire d’amour, portée par une sensualité à fleur de peau. Nous verrons naître aussi un parfum très spécial, qui honore la mémoire des jeunes filles assassinées. Et la boucle est bouclée, avec doigté. Malabourg est finaliste au prix Françoise Sagan, qui sera remis le 12 juin à Paris.
Recommencements, d’Hélène Dorion (Druide)
Livre de ressourcement, de renaissance, de réflexion. Très personnel, très inspiré. À déguster lentement. Livre qui appelle à une traversée de soi-même, qui appelle à la vie, à la nécessité des liens qui nous unissent à la vie. Livre grave et lumineux, à consonance autobiographique, dans lequel la poète se livre à un retour attentif sur des ruptures marquantes qui ont jalonné sa vie et l’ont amenée à se réinventer : deuil amoureux, deuil de la mère, aussi.
L’album multicolore, de Louise Dupré (Héliotrope)
Récit autobiographique, par une autre de nos grandes poètes. La mort de la mère occupe ici toute la place. La mort de la mère vue, vécue, ressassée par la fille, s’entend. La fille qui ne s’en remet pas, ne s’en remettra sans doute jamais tout à fait. « Elle ne mourra pour moi qu’au moment de ma propre mort. » Mais peu à peu, au travers des souvenirs qui remontent, des incompréhensions qui demeurent, des questions qui se précipitent, de la culpabilité qui se pointe et du chagrin inconsolable, peu à peu, la vie reprend nécessairement le dessus. Beauté pure que ce récit hommage à la mère, hommage à l’urgence de vivre, aussi.
Le feu de mon père, de Michael Delisle (Boréal)
« L’amour que je porte à mon père a toujours été souffrant, malheureux et ingrat », confie le narrateur de ce court récit plein de dureté, de honte, de rage et de tristesse mêlées. Le père bandit reconverti en fanatique religieux, le père menaçant, trop souvent absent, le père monstrueux et pitoyable, haï et craint, mais auquel le fils ne peut s’empêcher d’être attaché, ce père-là domine le récit. Mais Le feu de mon père s’avère aussi un livre de réflexion sur l’écriture, sur les processus de l’écriture, sur comment et pourquoi on écrit. « C’est de n’avoir pas eu le droit de parler qui a fait de moi un écrivain. »
Sam, de François Blais (L’Instant même)
Autofiction bidon en chausse-trape, pleine de fausses pistes. Fausse histoire d’amour. Autodérision qui tourne à l’autodénigrement et au cynisme mordant, très, très méchant. Petite vie plate, anodine, vide. Détails insignifiants. Célébration de l’insignifiance, qui n’est pas sans rappeler, quoique dans un tout autre contexte, un tout autre style et avec une tout autre résonance, le plus récent roman de Kundera, La fête de l’insignifiance (Gallimard, 2014). Dans son huitième roman, François Blais nous mène en bateau comme ce n’est pas permis. Et le pire, c’est qu’on s’en amuse.
La déesse des mouches à feu, de Geneviève Pettersen (Le Quartanier)
Premier roman de cette blogueuse et chroniqueuse humoristique qui se fait appeler Madame Chose. Ça décoiffe, ça déménage. C’est cru, sans concession dans le ton, très imagé du point de vue de la langue, dans le genre rentre-dedans. À l’image de l’héroïne : une ado qui n’a pas froid aux yeux et qui fonce dans le tas. En cette année 1996, à Chicoutimi-Nord, l’année du grand déluge, elle se fout des interdits, tente toutes sortes d’expériences, sans se soucier des conséquences. Y compris la drogue à répétition. Jusqu’à ce que la tragédie d’un proche la fouette de plein front. Très habile, inventif à tous points de vue. Et délicieusement irrévérencieux.
Histoires d’ogres, de Katia Gagnon (Boréal)
Et de deux pour cette journaliste qui s’avère une redoutable conteuse. Plus percutantes encore et davantage maîtrisées que son premier roman, ces Histoires d’ogres. Un meurtrier pédophile quitte la prison où il a été détenu pendant 25 ans, en direction d’une maison de transition. Pourrait-il récidiver ? La journaliste Marie Dumais, alter ego de l’auteure apparu dans La réparation (Boréal, 2011), entreprend une enquête sur le parcours de l’ogre. En parallèle, on suit une jeune prostituée poquée, poursuivie par une autre sorte d’ogre. Au final, tout s’emboîte. Pour le pire d’un côté, et peut-être pour le mieux en ce qui concerne l’héroïne…
Variations endogènes, de Karoline Georges (Alto)
Quatorze histoires tordues, marquées par la perversité. Certaines plus achevées que d’autres. Ce qui ressort ? Le sexe à outrance, la cruauté crasse, les corps violentés. Le tout mis à distance, dans une froideur apparente qui glace le sang. L’écriture scalpel de l’auteure de Sous béton (Alto, 2011) est tout entière mise au service de l’abject.
N’oublie pas, s’il te plaît, que je t’aime, de Gaétan Soucy (Notabilia)
Parue à titre posthume, cette lettre d’amour fiévreuse, enflammée, délirante, obsessive, absolue et désespérée, remue. D’une beauté tragique, les mots de l’auteur de La petite fille qui aimait trop les allumettes (Boréal, 2000), disparu subitement l’an dernier. Retournement inattendu : quatre écrivains, dont Sylvain Trudel et Catherine Mavrikakis, se mettent dans la peau de l’aimée, qui répond à l’amant délaissé.
Drama Queens, de Vickie Gendreau (Le Quartanier)
« Je me disais tout le temps qu’il fallait que je garde des trucs à raconter. Too late. Là, je déballe tout. » Écrit dans l’urgence, peu avant que son auteure soit emportée à 24 ans par une tumeur inopérable au cerveau, ce livre coup-de-poing fesse dans toutes les directions. D’une tristesse infinie, révoltant, ce deuxième opus après Testament, mais aussi, fantaisiste, pétillant, brillant. Et très, très déroutant.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.