Triste impasse

Lorsque le premier ministre Stephen Harper a offert, en 2008, les excuses du gouvernement canadien aux victimes des pensionnats autochtones, une question brûlait les lèvres. Comment cette promesse de réconciliation se traduirait-elle dans la réalité ?

 

L’amélioration de l’éducation des jeunes autochtones s’est vite imposée comme le moyen de corriger les erreurs passées. Priorité des Premières Nations pendant des années, elle est devenue celle du gouvernement.

 

Mais six ans plus tard, c’est l’impasse. Les jeunes autochtones vivant dans les réserves continueront de fréquenter, dans la plupart des cas, des écoles trop petites, en mauvais état, où le personnel va et vient à cause de salaires trop bas et dont les diplômes ne sont pas toujours reconnus à l’extérieur des réserves.

 

Le projet de loi C-33 sur « le contrôle par les Premières Nations de leur système d’éducation » était censé remédier à cela et il bénéficiait de l’appui de principe des chefs régionaux lors de son annonce en février dernier. Il a cependant vite semé la zizanie dans les rangs de l’Assemblée des Premières Nations (APN). Attaqué par ses rivaux, le grand chef Shawn Atleo a plié bagage au début du mois de mai, poussant le ministre des Affaires autochtones, Bernard Valcourt, à mettre le projet entre parenthèses en attendant le jugement de l’APN.

 

Il est venu cette semaine. Réunis à Ottawa, les chefs ont unanimement rejeté le projet de loi, tout en exigeant le financement accru promis par le gouvernement. Pas d’argent supplémentaire sans réforme, a répondu le ministre. On ne parle pas de miettes ici. À partir de 2016, Ottawa prévoyait de verser 1,25 milliard sur trois ans, somme qui aurait augmenté de 4,5 % par année par la suite. Près de 700 millions de plus étaient prévus pour améliorer les infrastructures et permettre la mise en oeuvre de la réforme.


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Il est désolant que le ministre lie la totalité de la hausse du financement à une réforme difficile à réaliser. Le piètre état du système d’éducation autochtone est le fruit, en grande partie, d’un sous-financement chronique. Depuis 18 ans, les budgets à cet effet n’augmentent que de 2 % par année alors que la population autochtone dans les réserves a crû de plus de 20 % entre 2006 et 2011 uniquement. Le fédéral verse depuis longtemps moins d’argent par enfant autochtone que ne le font les provinces pour les autres enfants canadiens.

 

Il est tout aussi désolant de voir la réforme proposée rejetée sans même une tentative, de la part des chefs, de proposer des amendements au projet de loi en question. Le projet C-33 prévoit la mise en place de normes similaires à ce qui existe dans les provinces, une certification des professeurs, l’obligation d’offrir un enseignement en anglais ou en français tout en permettant l’éducation dans les langues autochtones. Les bandes auraient le contrôle de leur école et le pouvoir de conclure des ententes avec une autorité scolaire autochtone similaire à une commission scolaire.

 

Un conseil mixte de professionnels de l’éducation superviserait la mise en oeuvre. Il serait composé de cinq à neuf personnes, toutes nommées par le ministre, mais après consultation auprès des organisations autochtones pour la moitié des postes. Quant au ministre, il se garderait un pouvoir d’imposer un gestionnaire externe quand il jugerait que les exigences de la loi ne sont pas respectées.

 

Ce sont ces dispositions qui ont fait dérailler le projet. Pour la majorité des chefs, le projet est irrécupérable parce qu’il accorde toujours un pouvoir d’intervention au ministre et ne l’oblige qu’à consulter les autochtones pour la formation du conseil et non à accepter leurs recommandations.

 

Mais cela aurait pu faire l’objet de propositions d’amendements. Il aurait toujours été possible de claquer la porte dans l’éventualité d’une fin de non-recevoir du gouvernement. Mais pour cela, il faut avoir confiance. Or le gouvernement a agi unilatéralement dans plusieurs dossiers concernant les autochtones au cours des dernières années, rejetant régulièrement les amendements qu’ils soumettaient.


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Le ministre Valcourt dit qu’il n’est pas question de procéder sans l’appui de l’APN, ce qui est tout à son honneur, et que la réforme de l’éducation autochtone avec contrôle accru des Premières Nations demeure sa priorité. Mais pour avancer, il devra savoir qui sont ses interlocuteurs.

 

La balle est dans le camp des chefs de l’APN qui doivent se choisir, on ne sait trop quand, un nouveau grand chef. Mais même quand cela sera chose faite, le gouvernement ne sera sûr de rien. Le grand chef n’est que le représentant de la volonté des chefs. Il ne peut agir seul, et les chefs sont eux-mêmes divisés sur la voie à suivre, ce qui complique la tâche du gouvernement.

 

Le seul point de consensus qui filtre des rangs de l’APN est qu’on ne veut pas d’une approche mur à mur ni du pouvoir d’intervention du ministre. On préférerait une législation permettant aux diverses communautés d’adopter des approches adaptées à leurs besoins, ce que certaines font déjà avec succès. Mais pour suivre cette voie, il faudra que les autres en fassent autant. Sont-elles prêtes ?

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