Les sincérités successives

Jusque-là, le président de BMO Groupe Financier, Jacques Ménard, m’avait toujours donné l’impression d’un homme d’une patience infinie, résigné à ce que le destin normal d’un rapport commandé par un gouvernement soit de s’empoussiérer sur les tablettes.

 

Dans une entrevue accordée au journal Les Affaires en mars 2008, il avait pourtant exprimé son ras-le-bol face à cette habitude « d’impartir la réflexion » sur les politiques publiques sans se soucier d’y donner suite. Il était lui-même l’auteur d’un rapport sur le système de santé resté lettre morte et voilà que celui de Claude Castonguay venait d’être rejeté sans ménagement.

 

L’ancien ministre des Finances Raymond Bachand est bien placé pour savoir qu’un rapport est une denrée extrêmement périssable, qui peut être encensé ou condamné selon le goût du jour ou l’intérêt politique du moment. On ne peut vraiment pas dire que la première étude du nouvel Institut du Québec (IDQ), dont il assume la présidence, pèche par excès d’audace ou d’originalité.

 

L’IDQ n’est pas le premier à constater qu’à défaut d’un contrôle sévère des dépenses de santé, qui représentent près de la moitié du budget, le Québec court au désastre budgétaire. En raison du vieillissement de la population, qui entraînera une diminution radicale de la main-d’oeuvre disponible, malgré une immigration massive, il est également illusoire de tabler sur la croissance économique pour régler le problème.

 

Qui plus est, la fiscalité québécoise est déjà nettement plus progressive que la moyenne de l’OCDE. Inévitablement, il faudra donc couper quelque part, mais où ? « C’est la job du gouvernement de le trouver », a répondu M. Bachand. Cela ne nous avance malheureusement pas beaucoup.


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Il est remarquable que les mots « secteur privé » n’apparaissent nulle part dans l’étude de l’IDQ. Le Québec « peut préserver l’essentiel de son contrat social » s’il prend les mesures de redressement nécessaires, peut-on y lire. On évoque bien une « remise en question d’un modèle et de façons de faire hérités des années 1960 », mais sans préciser davantage.

 

Pour le moment, l’IDQ donne sa bénédiction à la démarche budgétaire adoptée par le gouvernement Couillard : 1) redressement à court terme pour éliminer le déficit 2) instauration d’un « cran d’arrêt » pour faire en sorte que tout ajout de services soit financé par une réduction équivalente ailleurs 3) mise en place d’une commission de révision permanente des programmes.

 

Si, à l’issue de cet exercice, certains soins cessent d’être couverts par la Régie d’assurance maladie, il faudra bien se tourner vers le financement privé. Si jamais M. Bachand avait quelques idées sur le sujet, on pourrait comprendre qu’il n’ait pas très envie de tenir le rôle du vilain de service.


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En février 2008, M. Couillard, alors ministre de la Santé dans le gouvernement Charest, avait réservé le plus mauvais accueil possible au rapport que sa collègue des Finances, Monique Jérôme-Forget, avait commandé à un groupe de travail présidé par Claude Castonguay. Selon lui, le Québec était une « société prospère » qui avait les moyens de financer « correctement » son système de santé.

 

Au nom de ses « valeurs », il avait écarté catégoriquement le recours à la pratique médicale mixte et à l’assurance privée, tout comme à l’introduction d’une franchise établie en fonction du nombre de visites médicales effectuées et à une hausse de la TVQ pour financer un fonds de stabilisation de santé. La vice-présidente du groupe de travail, Joanne Marcotte, n’en était pas revenue de l’entendre rejeter cette dernière recommandation, qu’il avait lui-même faite.

 

Il est vrai que M. Couillard a eu des positions remarquablement variables sur ces questions. À peine dix mois après avoir morigéné M. Castonguay, il tenait un tout autre discours. Alors associé à un fonds privé d’investissement en santé, il voyait le recours à l’assurance privée d’un bien meilleur oeil. « Pourquoi interdire à certains citoyens de profiter des soins de santé s’ils payent ? », avait-il demandé lors d’un dîner-conférence organisé par l’Institut canadien de la retraite et des avantages sociaux. À l’entendre, le salut du système de santé passait dorénavant par le secteur privé.

 

Ces sincérités successives avaient amené les syndicats du secteur de la santé à crier à l’hypocrisie. Le président de la FMSQ, Gaétan Barrette n’en revenait pas : « Disons qu’on est passé d’un extrême à l’autre. Ce qui m’étonne, c’est que je n’avais jamais entendu ce discours-là de sa part. En public ou en privé. Il va très loin. » Le successeur de M. Couillard à la Santé, Yves Bolduc, s’était montré compréhensif : « Il a quitté la vie politique. Maintenant, il a droit à ses avis personnels. » Que pense aujourd’hui le premier ministre et que pensera-t-il dans un an ?

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