Les nouveaux pâtissiers

La Corporation des pâtissiers a vu le jour en 1720. Au tout début, il était difficile de différencier les pâtissiers, qui confectionnaient les pâtes et se confondaient avec les boulangers, et les oyers-rôtisseurs. De pâtes à pâtés, il n’y a qu’une farce, peu importe qu’elle soit faite de poisson, de viande rouge ou de volaille, et le titre de pâtissier était donné à ceux qui en confectionnaient. Vers 1740, cependant, le métier de pâtissier s’est spécialisé dans les pâtes et les préparations sucrées, se différenciant des boulangers et des oyers-rôtisseurs. Les pâtissiers préparaient des douceurs en confectionnant pâte à biscuits, meringues et macarons, tandis que les boulangers fabriquaient encore les brioches et autres viennoiseries, comme les croissants et les pains au chocolat.
La pâtisserie a réellement évolué en Europe vers les années 1900 avec la naissance du croquembouche, du millefeuille, du Paris-Brest et, en hommage aux boulangers, du saint-honoré, pour ne citer que quelques pâtisseries connues ayant laissé leurs traces dans l’histoire mondiale du sucré. Déjà, en 1862, la maison Ladurée, très célèbre pour ses macarons, faisait connaître aux Parisiens le goût du sucré, un goût développé auparavant par la cour de France et qui s’étendra dans la capitale française.
C’est au pape de la pâtisserie moderne, Gaston Lenôtre, que revient la paternité de la modernisation de la pâtisserie, en 1957, année où il ouvre sa première boutique à Paris rue d’Auteuil.
Arrivé à Montréal en 1952, Francis Cabanes va quant à lui révolutionner, quelques années plus tard, ce milieu très conventionnel au Québec en offrant dans sa Pâtisserie de Gascogne autre chose que le moka, le gâteau des anges ou la tarte au sucre. On vit alors apparaître dans la métropole les mousses et les ganaches, parmi la multitude d’entremets encore présentés dans bien des pâtisseries du Québec.
La course au sucré
Comparativement à la cuisine, le milieu de la pâtisserie a mis du temps à se réveiller. Après Lenôtre, en France, on vit apparaître les Pierre Hermé, Michalak et Conticini qui, à travers des émissions de télévision, vont de nouveau transformer le monde des desserts. Cette fois, on joue les saveurs, le yuzu fait son apparition, on allège les entremets, on cherche le meilleur chocolat de cru, l’éclair prend des couleurs et des formes, on découvre les verrines, et le macaron n’en finit plus de faire des émules un peu partout.
Montréal n’est pas en reste. Dans ce marché du sucré, on trouve notamment Olivier Potier, un grand talent, mais qui ne fera que passer dans sa pâtisserie-laboratoire de la rue Sherbrooke. On trouve aussi Rhubarbe de Stéphanie Labelle, qui offre une telle qualité depuis son ouverture dans sa minuscule boutique qu’on souhaite la garder pour soi. Puis Patrice Demers, avec ses célèbres petits pots de caramel et fleur de sel, qui est devenu une star à Canal Vie et qui a ouvert sa propre boutique signature, une école, un bar à vin et une pâtisserie dans le quartier Petite-Bourgogne.
À La Folie
La dernière découverte sucrée en date est la toute nouvelle boutique À La Folie, aux lignes très épurées, installée sur l’avenue du Mont-Royal et qui se qualifie elle-même de « pâtisserie audacieuse ». À La Folie bouscule le baba au rhum et la tarte Tatin pour faire une grande place aux macarons, aux petits choux et à une tarte multifonctionnelle, un pur délice de saveurs et de beauté, servie dans une boîte à pizza de luxe.
Les propriétaires, un couple de pâtissiers qui ont fait leurs armes à la Maison du macaron, ont opté pour ce concept déjà bien populaire dans d’autres villes du monde. Gaëlle et Johan Crop misent sur la fraîcheur, la légèreté, et surtout la qualité des ingrédients pour ces petits bijoux de modernité et de goût qu’ils offrent désormais à une clientèle très intéressée. Les émissions culinaires à la télévision ont entraîné un nouvel engouement pour ce type de produits.
Sans pour autant dénigrer les grands classiques, qu’ils se réservent le droit de faire sur commande, les nouveaux pâtissiers prêchent pour des desserts « non coupables », qui procurent aux consommateurs un plaisir sans pareil.
Dans des boutiques qui ressemblent presque à des bijouteries, les macarons sont revisités et les petits choux sont alignés comme des pièces d’orfèvrerie rares et précieuses. On vise la pureté des lignes et des formes. Comme dans les cuisines modernes, ce sont de véritables laboratoires à la propreté sans faille, et l’esprit qui y règne est façonné par ces nouveaux pâtissiers évoluant en toute transparence.
En 50 ans, les recettes de pâtisseries ont été allégées et contiennent désormais moins de sucre, moins de crème et moins d’oeufs. Nous sommes aujourd’hui bien loin de ces pâtissiers qui, de tourtes en pâtés, rivalisaient de farces et de pâtes. La pâtisserie moderne s’insère dans notre mémoire olfactive, sans pour autant nous faire oublier la tarte au sucre ou la religieuse.
Philippe Mollé est conseiller en alimentation. On peut l’entendre toutes les semaines à l’émission Samedi et rien d’autre à ICI Radio-Canada Premère.