La morale

Il y a comme un petit vent moral qui souffle en ce moment sur nos sociétés. Un petit vent moral qui, par moments, rime un peu avec glacial.

 

Cela paraît malheureusement conséquent : la moralisation de la vie publique succède désormais aux dérives passées, à l’inertie présente, au je-m’en-foutisme des gardiens des fonds et projets collectifs à qui l’on demande désormais de lutter contre toutes formes de prévarication et de corruption, de l’esprit, des valeurs et même du corps.

 

Dans ce monde où les exigences sont désormais élevées, tout semble possible, par exemple, exiger d’un ministre de l’Environnement nouvellement nommé à Québec qu’il s’engage publiquement à n’utiliser dans sa maison, pour le ménage, que des produits nettoyants à base de vinaigre pur et d’huile essentielle d’orange. Pour ne pas polluer.

 

La requête n’a pas été encore formulée, mais, par les temps qui courent, David Heurtel — c’est lui le nouveau ministre — s’expose publiquement à des pétitions qui pourraient lui demander, tiens, de ne circuler qu’en Bixi lors de ses passages à Montréal — en portant un casque, bien sûr, pour donner l’exemple —, de ne plus prendre l’avion, un mode de transport qui produit trop de gaz à effet de serre, de ne voyager au Québec qu’en train, plutôt qu’en voiture, ou encore d’isoler sa maison avec de la paille.

 

Ordre collectif pourrait lui être également donné que ses costumes soient faits uniquement de coton biologique ou de laine certifiée « développement durable » et que ses lunettes soient fabriquées par un artisan de Gaspésie, les modèles provenant d’Allemagne, du Japon ou de l’Italie ayant une empreinte environnementale incohérente avec la charge ministérielle qui est la sienne.

 

Sur le bout des doigts

 

Son homologue à la culture, Hélène David devrait elle aussi être attentive au présent qui pourrait bien, par la voix d’une pétition ou par un mouvement de foule numérique sur un réseau social près de son cabinet, exiger d’elle dans les prochains jours, une connaissance irréprochable du patrimoine culturel québécois passé et présent. Sans faille et sur le bout des doigts. Avec examen public.

 

Le peuple pourrait également lui demander, vu son âge, de suivre des cours de culture numérique, mais aussi d’art urbain, le street art, comme on dit en anglais, un truc très tendance et qui dans sa circonscription plutôt conservatrice et proprette d’Outremont ne court pas vraiment les rues. Autre exigence : Mme David devrait s’engager publiquement à apprendre à danser comme Marie-Mai et à suivre avec assiduité toutes les séries télé du moment. Après tout, c’est ce qui permet de discuter désormais autour d’une machine à café. Les séries de Radio-Canada et de TVA, mais jamais celles provenant d’ARTV ou d’AddikTV qui témoignent surtout d’une culture étrangère, doublée en français certes, mais qu’une ministre de la Culture du Québec devrait ignorer, pour rester accrochée sur le fil moral du moment.

 

La « moraline », cette bien-pensance délétère qui finit par assombrir une société en prétendant vouloir l’éclairer, comme l’a défini un jour Nietzsche, pourrait aussi nous amener à demander au ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, de parler désormais uniquement dans un français normatif impeccable. Pour montrer le bon exemple aux élèves et à quelques professeurs et directeurs d’école. Et puis tiens, à exiger aussi, publiquement et en faisant beaucoup de bruit, que le nouveau ministre de la Santé, Gaétan Barrette, suive un régime alimentaire pour montrer qu’il est en santé. Un obèse à la Santé ? Pensez-y, deux minutes : c’est de la corruption de cette charge ministérielle par le vice de la bouffe, par le laisser-aller, par la surcharge pondérale, pourrait-on entendre en tendant à peine l’oreille.

 

Mais cette demande, comme toutes les autres d’ailleurs, amène peut-être l’absurde, l’odieux et les dérives poussées par un vent moral, peut-être un peu trop loin ?


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Trop loin ? Non, plutôt « de très loin », pourrait-on dire pour qualifier les 12 oeuvres pixelisées d’Andy Warhol, un gars qui a bien aimé combattre les carcans et la morale, que l’on vient tout juste de retrouver sur une disquette souple, un floppy disk, comme on disait dans le temps.

 

Ce sont des membres du club informatique de la Carnegie Mellon University aux États-Unis qui viennent de faire cette étonnante découverte, ramenant au souvenir du présent des oeuvres numériques réalisées par le maître du pop art, artiste innovant s’il en est, sur un ordinateur Commodore Amiga en 1985. Ça fait presque 30 ans.

 

Les créations étaient « prisonnières » du disque, ont raconté les responsables du sauvetage, à cause d’un « format obsolète » qu’ils ont réussi à vaincre. Cela permet de divertir le présent, mais également de lui donner désormais espoir de transmettre aux générations futures toutes les oeuvres et créations d’artistes d’aujourd’hui qui, pris dans un autre vent (celui de l’obsolescence programmée et des changements de formats informatiques à la petite semaine), voient leur travail numérisé prendre fatalement le même chemin de l’oubli. Sauf que, de ce chemin, finalement, il est possible un jour de revenir.

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