Girl’s club

Tant de femmes députés reçoivent en pâture le portefeuille de la Culture. À croire que les premiers ministres ont envie d’offrir aux gars leurs gros chantiers virils en laissant aux dames la dentelle et autres travaux d’aiguille. D’un serment d’investiture à l’autre, je crois voir le regard du chef englober dans un même rayon condescendant les femmes et la culture. Chimère, me direz-vous. Chimère chiffrée, tout de même. Onze femmes sur treize titulaires depuis 1985, ça fait beaucoup.
Tendance lourde, qui doit bien recouvrir deux ou trois vérités. Et n’allez pas prétendre, les filles, qu’on ne vous a jamais rien donné… Ne le disons pas trop fort à ces messieurs, mais la culture, c’est le fin du fin.
Faut remonter le cours du portefeuille jusqu’à sa création en 1961 pour s’apercevoir qu’ils l’ont déjà su. Les hommes — longtemps il est vrai en quasi-monopole à l’Assemblée nationale — se relayaient joyeusement sur ce siège-là, laissant à peine une petite place à Claire Kirkland Casgrain entre 1972 et 1973. Puis, au milieu des années 80 : boum ! Le changement de cap. Dans le sillage de la Révolution tranquille, le mot « culture » rimait avec libération d’un peuple. Ensuite avec divertissement. Les choses ont dû déraper quelque part au milieu du chemin. À méditer !
Certaines ministres de la Culture ont excellé dans le rôle. Ni le courage ni la compétence n’ont de sexe. Les meilleures se montraient plus batailleuses que les hommes, capables de s’imposer elles-mêmes dans un premier temps, puis de pousser un secteur en perte de lustre. Hardi !
Maka Kotto — nommé par une première ministre, tiens donc ! — aura été la parenthèse du passé récent. Mais, doux et charmant, moins vindicatif que bien des femmes de sa lignée, il n’aura guère profité de sa prime à la masculinité, et manquait d’ailleurs de poigne pour pousser ses dossiers. Sinon, Jacques Parizeau accrocha quelques mois en 1995 le portefeuille de la Culture à son blason de premier ministre. À part ça… Sous notre fleur de lys, à perte de vue, en trois décennies, des ministres femmes, avisées ou pas. PQ, PLQ : même refrain. Même constat.
À Hélène David, dernière à coiffer le chapeau à plume, on souhaite bon vent, bon courage, et le reste ! Surtout devant des rangs ministériels féminins si clairsemés. Fragiles substances que la culture et les communications, avec protection de la langue française en segment ajouté. Autant dire l’âme du Québec, volatile face aux « vraies affaires » si haut brandies par le chef. Alerte !
Hélène David, à l’université comme en politique, gère depuis belle lurette des dossiers minés. Sous-ministre adjointe à l’Éducation supérieure sous Charest, elle devrait pouvoir brasser le boy’s club. Ses proches la décrivent comme une femme cultivée. On la dit ravie d’occuper ce siège-là (plusieurs l’attendaient à l’Éducation). Son sourire à la cérémonie d’assermentation semblait sincère.
C’est qu’on veut y croire. Par aura de famille aussi, d’une génération à l’autre, en engagement politique. Son grand-père était le député sénateur Athanase David. Sa soeur Françoise David mène avec fougue Québec solidaire. Ajoutez un frère politologue, Charles-Philippe David. Des partys de famille bien scintillants.
Oui, on veut y croire. À vue de nez, cette ministre-là semble plus allumée que bien d’autres. Psychologue, et ça lui en prendra, de la psychologie, longtemps professeure et chercheuse. À elle, le bénéfice du doute. Oui, oui.
Sans compter, ironie du sort, que la culture fut mieux servie en général sous le règne libéral que péquiste. Quant à la langue, Hum ! Philippe Couillard veut une charte des valeurs sans pomme de discorde aux signes religieux ostentatoires. La langue et la culture seront au coeur de ce projet-là. Mais apprêté sous quelle sauce ? Hélène David travaillera sur ce front. Batailleuse, on l’espère. Isabelle Melançon, l’excellente directrice des communications à la SODEC, vient de devenir chef de cabinet d’Hélène David. Ça devrait aider à créer des ponts entre les deux rives.
Victor-Lévy Beaulieu décrivait dernièrement Philippe Couillard comme un homme cultivé et lettré, rare phénomène dans les hautes sphères politiques québécoises. Si le premier ministre pouvait afficher ses goûts, ça aiderait la cause. Rêvons, rêvons, mais pas trop. Voilà le genre d’atout qui déplaît aux foules.
À l’heure de la passation de pouvoirs, le spectacle de tous ces dossiers flottants fait plus trembler qu’autre chose. Trop heureux si le budget dévolu à la Culture ne se voit pas tronçonné à la première occasion…
Prenez la politique du prix unique du livre, coup de pouce aux librairies indépendantes devant l’assaut des grandes surfaces et du géant électronique Amazone. Le PQ, après valse-hésitation, se préparait à l’encadrer. Sauf que Philippe Couillard a souvent affiché son refus de légiférer. Retomber à la case départ, en cette vingt-cinquième heure, semble à peine envisageable. Et pourtant…
Et le statut de l’artiste, le trop faible soutien aux programmes d’aide à la création, aux écrivains en particulier, avec quel argent colmater ces brèches ?
On songe à la stratégie culturelle numérique, annoncée par Maka Kotto pas plus tard qu’en mars dernier. Mise au frais ou relancée ?
Quant au rapport du Groupe de travail sur les enjeux du cinéma québécois, grand est le risque pour lui d’un enterrement de première classe. Toutes ces recommandations au scénario, à la production, à la diffusion, etc., direction panier, vraiment ? Quoi qu’il en soit, Hélène David survient à la croisée des chemins réels et virtuels.
À revoir, les pratiques culturelles à l’heure de la révolution technologique. Faut-il encore planter des sous sur les sillons d’hier, appuyer des événements et des industries en déclin ? D’un autre côté, mettre la culture en bouteille, la chiffrer, la compresser, paraît aussi un piège. La dictature de l’humour fait tant d’ombre à la danse, au théâtre, à la lecture, aux arts visuels, à la musique et au cinéma qui poussent hors des chemins balisés. Va pour s’adapter, mais en résistant aux miroirs aux alouettes. Or il y en a beaucoup. Trop de productions culturelles d’ici et d’ailleurs ne servent qu’à abrutir les gens.
À son horizon : voir, analyser, trancher et mille actions à poser, dans les régions du Québec entre autres, si négligées par rapport aux grandes villes. À quand surtout le vrai canal creusé entre la culture et l’éducation ? Mieux enseigner les arts, la littérature, former un peuple armé pour affronter le vent de la mondialisation, avec une langue enrichie, voilà le grand défi.
On a vu tant de gouvernements successifs balayer sous le tapis les questions de qualité linguistique. Fallait pas déprimer les Québécois avec leur parlure. Voyons ! Notre enclave doit constituer un terreau d’excellence pour le français, histoire de s’imposer, de rayonner. On pense à tout ça, avec le souhait de bienvenue à Hélène David dans le girl’s club, gardant l’oeil grand ouvert aussi sur ses futures performances de funambule, promis !
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.