Des nouvelles de Mégantic

Un marché Metro remplacera l’église Notre-Dame-de-Fatima, dont la démolition a commencé samedi.
Photo: André Lacroix Un marché Metro remplacera l’église Notre-Dame-de-Fatima, dont la démolition a commencé samedi.
Les coups ont commencé tôt samedi matin, faisant tomber les pierres de granit. Les gens se sont approchés peu à peu. Pas des masses, non. Les préparatifs avaient quand même débuté deux jours plus tôt. Mais le bruit a attiré le voisinage, et l’ampleur de l’opération détournait l’attention de chaque conducteur qui passait sur la grande rue. Certaines voitures s’arrêtaient carrément, toutes ralentissaient. Ce n’est pas tous les jours que l’on voit une église disparaître sous ses yeux.

C’était maintenant le tour de celle de Fatima, à Lac-Mégantic. Et c’était comme si le drame de la ville se rejouait, à toute petite échelle. Pas le drame de la mort bien sûr, mais celui d’un autre repère qui disparaît. Un autre deuil à faire dans cet hiver interminable qui a débuté en juillet dernier. Une espèce de tristesse sans larmes, à l’image de l’homme resté dans sa camionnette et qui suivait les travaux de la machinerie s’attaquant à l’église le visage rougi, les yeux embués, les lèvres serrées. Non, il ne pleurerait pas. Mais sous le ciel bas et gris, au milieu de cette neige qui tombait sans se décider à être vraiment pluie, quelque chose s’éteignait encore une fois.

Malgré tout, pourtant, paradoxalement, la ville recommence à respirer. La veille, le vendredi, un passage a été ouvert pour que piétons et cyclistes puissent enfin traverser la Chaudière qui sépare Mégantic en deux. Une vraie bouffée d’air frais pour les résidants du secteur Fatima habitués depuis cent ans à se rendre au centre-ville à pied ou en quelques tours de roue qui suffisaient pour traverser le court pont.

Depuis le 6 juillet, ils étaient confinés dans leur coin, obligés de faire des kilomètres de voie de contournement pour rejoindre le reste de la ville, là où se trouvent commerces et services administratifs. Le sentiment d’être abandonnés était plus que patent, il a même donné lieu à des manifestations, certes pacifistes, mais qui ne sont pas du tout le genre de Lac-Mégantic.

La trouée qu’ils réclamaient leur a enfin été donnée. Depuis, le seul fait de voir des passants l’emprunter redonne un semblant de vie normale à une ville qui la cherche encore. Ce regain, qui se voit par d’autres signes, est particulièrement frappant pour ceux qui, comme moi, sont venus à Mégantic régulièrement depuis l’été.

Fatigue

On m’a souvent demandé depuis juillet des nouvelles de Lac-Mégantic. Au milieu des funérailles, des commémorations, des rassemblements, des gestes d’appui en tout genre, je n’arrivais à avoir qu’un mot en tête : fatigue, immense fatigue. À cause des décès, du centre-ville fantôme, des blessures physiques, et du cœur, et de la mémoire.
Mais aussi à cause du déferlement de visites et d’attention : il en faut de l’énergie pour faire face aux flots médiatiques, il en faut aussi pour recevoir du soutien. C’est un aspect des choses que le donneur ne soupçonne pas et que le receveur garde pour soi.

Comment dire qu’on souhaite surtout retrouver la paix quand tout le monde veut, avec sincérité, avec générosité, y aller de son coup de main ? Dans son plus récent billet de L’Écho de Frontenac, l’hebdomadaire de la région, le rédacteur en chef, Rémi Tremblay, a su parfaitement résumer la situation. Depuis neuf mois, les « paquebots médiatiques » ne voient que la pointe de l’iceberg à Mégantic, dit-il, « alors que le monde d’ici est encore en train de ramer entre les blocs de glace qui s’y sont détachés ».

Du neuf

Oui, les gens rament fort et ils s’en seraient bien passés. Mais pour la première fois depuis neuf mois, l’impression d’avancer se dégage nettement. Jeudi, Bolduc Chaussures a ouvert ses portes dans les locaux commerciaux flambant neufs qui côtoient maintenant le centre sportif. Retrouver « chez Bolduc », pilier de « l’autre » centre-ville, c’était comme la vie d’avant qui reprenait son cours. La boutique est plus grande, plus aérée, symbole même qu’une renaissance est possible. Rien à voir avec une relocalisation en catastrophe dans le premier local disponible qui fut le lot de plusieurs depuis l’été.

À côté, le restaurant Renato, autre adresse de référence du Mégantic d’avant juillet 2013, annonce qu’il rouvrira bientôt. Non, il ne sera plus au bord du lac, mais ses dehors sont invitants. Il y a encore le glacier qui promet de reprendre du service en mai, lui aussi dans ses lieux bien à lui. Même le salon funéraire affiche sa réouverture, prévue au printemps — et il ne faut rien comprendre à la tragédie d’une ville brûlée dans son cœur pour ne pas voir là un signe de vitalité.

On dira que cette agitation est toute commerciale. L’église Notre-Dame-de-Fatima elle-même sera remplacée par un marché Metro. Ce triomphe des affaires sur le spirituel est pourtant bienvenu.

Se réinventer

Le sort de la paroisse avait été scellé bien avant le déraillement funeste de l’été dernier. Lac-Mégantic ne pouvait plus garder deux églises ouvertes, et c’est Fatima qui devait fermer son lieu de culte. Que faire du bâtiment était devenu un champ de bataille : allait-on y donner des cours, y loger la bibliothèque ? Nulle solution ne convenait et personne ne voulait l’acheter. En juin dernier, c’était le grand sujet de discussion en ville. Le terrible incendie a permis de régler la question : l’emplacement, non loin du centre-ville traditionnel, servirait à relocaliser le Metro.

D’ici la fin de la semaine, il ne restera plus rien de l’église. Les maisons autour ont été détruites, le presbytère déménagé. C’est dur, mais ainsi va la vie. Quand Metro ouvrira à l’automne, ce sera pour le plus grand bonheur de tous. La normalité dans une ville, c’est aussi d’avoir accès à un supermarché à l’offre variée. Il y a une autre grande épicerie à Mégantic, mais elle ne remplit pas tous les besoins. Alors parfois, juste pour retrouver l’impression de faire leurs courses comme avant, certains poussent parfois jusqu’à Sherbrooke ou Saint-Georges de Beauce. Il faut ajouter ces parcours, qui n’ont de futile que l’apparence, à la fatigue cumulée.

Que les services d’avant retrouvent leur place est donc salutaire, une préoccupation de moins dans une ville qui a tant d’autres défis à affronter. D’un côté, les maisons à vendre sont nombreuses et ne trouvent pas preneur, on se demande encore quels ravages la pollution des sols aura au final causés, l’état de la Chaudière est aussi à surveiller. De l’autre côté réside la nécessité de se réinventer.

La mairesse, Colette Roy Laroche, qui arrive toujours — et il faut voir combien c’est remarquable dans le contexte — à naviguer entre les attentes souvent contradictoires des uns et des autres, a lancé la semaine dernière un grand exercice de participation unique en son genre. Les Méganticois ont été invités à se joindre à des tables de discussion pour penser l’avenir de leur ville. Ensemble. Concrètement. Plus de 400 personnes étaient présentes à la première rencontre. La démarche suscite à la fois l’espoir et le scepticisme. Il ne faut pas s’y tromper, il s’agit encore et toujours de ramer entre les blocs de glace. C’est long, exigeant, lassant. Mais il n’y a pas d’autres choix. C’est ainsi qu’avance Lac-Mégantic.

À voir en vidéo