La kermesse des exégètes

Au fond, c’est peut-être bien Sébastien Bovet qui a gagné le débat des chefs. Le journaliste de Radio-Canada, grand maître de la synthèse à chaud, a encore montré sa valeur en s’adressant aux candidats avec des questions sans compromis, franches, directes, juste assez baveuses, avec aussi un petit je-ne-sais-quoi d’ironie, cette impolitesse du désespoir qui sied si bien à notre époque désabusée.

 

Retrouvera-t-on ce modèle à suivre, plus musclé et sans complaisance, dans les face à face que diffusera TVA cette semaine ? Souhaitons-nous-le. La mécanique a un peu dérapé l’automne dernier pendant les confrontations des candidats à la mairie de Montréal. Par exemple, quand l’animateur s’est offusqué devant la perspective d’élever des enfants en ville, dans des condos ou des immeubles à étage. Le monde vu de Saint-Bruno…

 

Peu importe. Débat à l’ancienne ou face à face à la mode, finalement, les deux modèles se défendent. Ils servent à exposer en synthèse les propositions des grandes formations, mais aussi (et surtout) à zieuter de près les leaders. Les formules pourraient certainement être améliorées. Chacun a sa petite idée pour bonifier les propositions. Chacun peut bien souhaiter rajouter de ceci ou enlever de cela. En gros, on a ces débats-là et puis voilà.

 

On a aussi beaucoup, beaucoup, de bruit médiatique autour de la patente. La preuve : on en parle encore ici…

 

Le moment charnière des confrontations au sommet rappelle ce qui arrive à la politique au temps de son hypermédiatisation sur fond de tyrannie du commentaire. On a donc eu droit à deux heures d’échanges. Deux heures de télé pour laisser la parole aux leaders, une présentation répétée et formatée, certes, mais qui change quand même des clips habituels de cinq ou six secondes retenus par les journaux télévisés.

 

Et puis après, on a donc eu droit à des heures et des heures de commentaires pour décortiquer tout ça, comme dans une sorte d’Antichambre de la politique. RDS, RDI, même combat.

 

À Télé-Québec l’émission spéciale Bazzo.tv a rameuté quatorze ou quinze analystes et porte-parole. D’autres chaînes avaient des propositions plus ou moins similaires pour demander : qui a gagné ? Qui a perdu ? Et la déclaration-choc ? Et le knock-out ? Et la robe de Mme David ?

 

Le commentateur partisan, cet intermittent du spectacle et de l’engagement, forme un cas à lui tout seul de cette grande kermesse des exégèses. Joseph Facal l’incarne jusqu’à la caricature, omniprésente en plus. Ex-ministre péquiste de l’aile droite (ce n’est pas un défaut en soi), son jupon idéologique dépasse tout le temps, partout. Il commente maintenant dans Le Journal de Montréal, à TVA, à TQ, et à la radio parlée de Radio-Canada. Parions qu’il sera du débriefing de TVA jeudi soir. Gesca ou Le Devoir devrait penser à lui faire une petite place, tant qu’à faire, pour compléter la tournée.

 

De même, Radio-Canada ramène un peu partout la libérale Liza Frulla comme glossateur. Son purgatoire postcommission Charbonneau est donc terminé ? Le Devoir, lui, a Lise Payette.

 

Mais bon, partisan ou non, le petit cercle des chroniqueurs spécialisés obsède souvent autour de la tactique partisane et des stratégies de communication des acteurs politiques. Dans cette perspective, les enjeux semblent moins comptés que les coups portés ou reçus. L’examen de la méthode pédagogique l’emporte pour ainsi dire sur la matière enseignée. Et les médias sociaux ne font qu’accentuer cette tendance en version hyperserrée.

 

Bien sûr, les analystes travaillent tous très bien et tous maîtrisent le sujet, même si tous n’ont pas la large perspective historique et la finesse analytique de Michel David, on se comprend. Évidemment, tout cela a son importance. À l’évidence, tactiques et stratégies feront partie de l’équation expliquant les résultats du 7 avril.

 

Et les médias ? Quelle sera leur part de responsabilité dans ce grand jeu et son aboutissement ? Les plus naïfs ou les moins critiques de la corporation s’en tiennent au credo habituel : il ne faut pas confondre les messages et les messagers. Ils oublient que les messagers en question, eux-mêmes quoi, filtrent et malaxent sans cesse le message, décantent ce qui a déjà été concentré et orienté, réduisent la campagne au war room et les fins aux moyens.

 

Il n’y a pas que ça, heureusement. Les journaux du week-end ont commencé à rapporter plein d’autres problèmes plus ou moins absents du débat des chefs comme de la médiatisation générale de la campagne, des problèmes liés au transport, à la dette, à l’éducation ou à la corruption. Merci.

 

De la belle matière pour alimenter les échanges de jeudi. Même sans Sébastien Bovet…

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