Des boules de cristal qui ne tournent pas rond
Les individus, comme les sociétés, ont ce besoin irrépressible de se faire prédire ce qui va leur arriver. Quelle que soit la fiabilité de ces prédictions.
Certains diront peut-être que la nouvelle n’était pas exactement une primeur, mais l’étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) constituait néanmoins de sa part un rare exercice d’humilité et d’autocritique. Dévoilée mercredi, cette étude constatait que les très sérieux experts de l’organisation internationale se sont joyeusement gourés dans leurs prévisions économiques pendant et après la Grande Récession.
De 2007 à 2009, leurs projections économiques du mois de mai pour l’année à venir sont allées jusqu’à surestimer la croissance annuelle de 2,6 points de pourcentage, soit l’équivalent de la différence entre une économie développée en belle croissance (+2,6 %) ou en stagnation complète, ou tout près de l’écart entre la petite année positive qu’a connue le Canada en 2013 (+1,7 %) et la récession qui se poursuivait en même temps en Espagne (-1,4 %). L’erreur moyenne s’est avérée beaucoup plus faible durant la période allant de 2010 à 2012 (+ 0,3 point) ou, comme avec la météo, au fur et à mesure que l’on se rapprochait des événements faisant l’objet de la prédiction (– 1,8 point en novembre de l’année précédente et – 0,2 point en mai de l’année même).
On ne s’était pas autant trompé depuis le premier choc pétrolier au début des années 70, ont dit les auteurs. Des chiffres obtenus cette semaine par la revue Maclean’s montraient toutefois que, depuis 1982, les erreurs d’appréciation de la croissance économique future ont été d’au moins 2 points de pourcentage 11 années sur 30.
L’OCDE ne semble pas être pire que les autres, ses prévisions, durant la période étudiée, étant virtuellement les mêmes que celles du Fonds monétaire international (FMI), de la Commission européenne et du consensus des économistes.
Le FMI avait attribué ses erreurs, l’an dernier, à une mauvaise appréciation de l’impact des politiques d’austérité dont elle était en partie responsable en Europe. L’OCDE pense plutôt avoir sous-estimé le degré d’interdépendance des économies et l’influence du secteur financier alors en crise profonde. On ajoute avoir aussi été déjoué par la lenteur des gouvernements européens à trouver une solution à leur crise des dettes souveraines.
Les nouveaux oracles
De tout temps, l’être humain a voulu croire qu’il vivait dans un monde dont le fonctionnement pouvait être prévisible et contrôlable. De la diseuse de bonne aventure à l’expert patenté interrogé à la télé, en passant par les modèles mathématiques des économistes et le pool de hockey du beau-frère, on s’est risqué à faire toutes sortes de prédictions dont l’exactitude fait rarement l’objet de bilans rigoureux.
Des chercheurs de l’Université de New York ont relevé les prévisions que faisaient régulièrement une cinquantaine de réputés économistes dans le Wall Street Journal sur le chômage, l’inflation ou encore la croissance économique en portant une attention particulière aux fois où ils prédisaient un choc majeur, qu’il soit positif ou négatif. Ils ont constaté que ceux qui avaient vu leur prédiction d’effondrement boursier ou de soudaine flambée des prix du pétrole s’avérer parvenaient rarement à répéter leur exploit et, plus embêtant encore, se révélaient moins clairvoyants le reste du temps.
Ce constat ne va pas sans nous faire penser à ces économistes qui ont la réputation d’avoir été parmi les seuls à voir venir une grande crise et qui ont longtemps pu jouer ensuite aux oracles. L’un des plus connus est sans doute l’économiste américain Nouriel Roubini, qui avait su décrire, avant les faits, l’enchaînement des événements qui allaient mener à la Grande Récession, mais qu’on surnomme aussi le « Docteur Catastrophe » parce qu’il n’en était pas à sa première, ni à sa dernière prédiction du genre.
Il est certain que les experts aux prédictions les plus spectaculaires sont plus appréciés des grands médias et du public en général que ceux qui sont tout en nuance, surtout que personne ne calcule jamais leur moyenne au bâton.
D’un autre côté, il est sans doute plus confortable, pour un prévisionniste, dans un monde de plus en plus complexe, de ne pas trop s’éloigner de ce qui semble être la tendance économique générale, sinon de ce mystérieux « consensus » des experts.
Comment mieux savoir?
Quoi qu’il en soit, les gouvernements, les entreprises et les ménages ont quand même besoin d’avoir l’idée la plus juste possible de ce que l’économie leur réserve.
L’étude de l’OCDE conclut une chose et son contraire. D’abord, elle doit mieux garder en tête les grandes tendances mondiales, mais aussi des risques peu probables, mais dont l’impact pourrait être considérable (cygnes noirs). On souhaite aussi mieux savoir écouter ce que disent les acteurs sur le terrain et utiliser la masse de plus en plus grande de microdonnées qui émanent de l’économie en temps réel.
Une récente étude de l’Institut C.D. Howe sur le pouvoir prédictif d’Internet montre jusqu’où cela pourrait aller. Faisant le pari que l’agrégation des faits et gestes des millions d’utilisateurs du Web offrait une image de leurs intérêts et préoccupations, son auteur a trouvé que les tendances dans le paiement électronique, mais aussi la fréquence d’utilisation des mots « récession » et « emploi » dans le moteur de recherche Google, auraient permis de prédire le début de la dernière récession au Canada trois mois à l’avance.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.