L’amour au temps de l’amitié

Photo: - Le Devoir

C’est en ouvrant un livre sur l’amitié que cette carte d’anniversaire est tombée, glissée là pour me rappeler l’amie qui m’avait offert l’ouvrage. Elle date de 2006. « Je suis privilégiée d’être ton amie et je suis sûre (il était temps, me diras-tu) qu’à travers nos ressemblances et nos différences, nos moments exaltés et foufous, nos plages désertiques et “ ardinaires ”, nous serons toujours des amies. Je t’aime. »

 

Vingt ans que ça dure avec ma Fifi. Des hauts et des bas, des tourments et des joies, des angoisses et des folies, des amants et des enfants, de l’humour et un tas d’amour brodé au petit point.

 

Nous réussissons toujours à sauver ce qu’il reste de nous, même quand ça ne tient plus qu’à un fil. Et je veux être dans le lit à côté du sien au Chez-nous des artistes. Elle va être la tite vieille qui va ramasser les dentiers de tout le monde pour les fourrer dans sa sacoche, nous tatouner pour qu’on se parte une chorale avec Gregory Charles et prêter son vibrateur en échange d’un pudding au chocolat.

 

Il est rare qu’on dise « Je t’aime » à un(e) ami(e). Pudeur ? Manque de vocabulaire ? On like nos amis Facebook, mais on aime nos amis intimes. Et la différence entre les deux n’est pas difficile à faire.

 

Au confluent de la solitude et de l’isolement, qui sont le lot de plus en plus de gens, il y a l’échappatoire des réseaux sociaux, en mode veille 24h/7, un lampion allumé dans l’obscurité de la Toile. Mais rien ne vaut un texto vespéral d’une amie-phare et mère-veilleuse qui dit : « De garde pour toi 24h/24. Appelle sur cell, ne te sens pas gênée. Tendresses. » Quand une médecin te donne son numéro de cell, c’est plus précieux que son NIP bancaire.

 

Les « Je t’aime » d’amis pèsent une tonne de vérité. Tiens, une amie que je pratique depuis 30 ans — oui, je les conserve longtemps — m’a envoyé un premier « Je t’aime » trois jours avant la Saint-Valentin cette semaine. « C’est rien qu’une date, le 14 ! Moi, l’amour est dans mon coeur chaque jour. S’il est une courte phrase qu’on hésite à dire à l’amie, c’est bien : “  Je t’aime.  » J’ai liké.

 

Il m’arrive de réveiller mes amies à 5h du matin (seulement si elles sont matinales ou insomniaques, je le jure), m’arrive aussi d’avoir peur de les déranger et de ne pas donner signe de vie. Come rain or come shine, chacun sa spécialité.


La fête de l’amitié

 

Au Mexique, la Saint-Valentin célèbre tout autant l’amour que l’amitié. Te quiero mucho. On ne fait pas tant de manières avec le sentiment, asexué ou non. On pardonne d’ailleurs bien plus à nos amis qu’à nos amours leurs infidélités, leurs manquements, leurs trous de mémoire, leurs absences, leurs silences. L’amitié est un ticket aller vers la liberté.

 

Et c’est un cliché que d’affirmer qu’on peut se retrouver après deux ans comme si on avait trinqué la veille. L’amitié absout beaucoup et ne se dissout pas dans l’alcool. Heureusement. Et elle nous offre la chance inouïe de nous dépasser un peu sans luxation de l’épaule.

 

Siegfried Kracauer, journaliste et sociologue allemand, disait que l’amitié est un mot faible pour un contenu débordant. Et il n’est pas toujours facile de tracer la ligne entre l’amour et l’amitié, surtout lorsque le désir s’en mêle. Car la séduction peut être présente et l’intimité aussi. « L’ami, le “ véritable ” ami, l’ami intime, c’est celui auquel on peut tout dire, mais aussi celui qui vous comprend à demi-mot, parce que le silence de l’intimité a l’éloquence de la parole », nous rappelle Sophie Jankélévitch dans la préface de L’amitié. Dans son harmonie, dans ses dissonances (autrement).

 

L’amitié se nourrit de présence, de bons moments partagés, mais on dit souvent que c’est dans les épreuves qu’on reconnaît ses vrais amis. Je dirais qu’il y a des amis plus doués avec les malheurs et d’autres capables de vous endurer dans le bonheur, bien plus rares encore. Le bonheur éloigne davantage que le tourment. Il dérange souvent. Tous les amoureux savent cela.


Les amis sont seuls au monde

 

L’amitié est une drôle d’alliance qui résiste aux modes, mais pas toujours au temps. Parfois on se lasse, parfois on trépasse. Cet idéal entre deux êtres relativise bien des sévices psychologiques et des désillusions qui viennent avec cette déferlante qu’on appelle la vie. L’amitié m’a déjà sauvée de mille morts.

 

Et si l’amour est une religion pour plusieurs, l’amitié l’est tout autant. « L’amitié est une religion sans Dieu ni jugement dernier. Sans diable non plus. Une religion qui n’est pas étrangère à l’amour. Mais un amour où la guerre et la haine sont proscrites, où le silence est possible. Ce pourrait être l’état idéal de l’existence. Un état apaisant », écrit Tahar Ben Jelloun.

 

« Ma chérie, je vais prier pour toi, même si je suis athée et apostate ! », m’a déjà déclaré mon amie Anne, avec qui j’entretiens une amitié téléphonique depuis une quinzaine d’années. Ni lien du sang, ni lien du sexe, ainsi se définit cette préférence qui nous tient parfois lieu de famille adoptive.

 

Le filet de sécurité sociale le plus répandu et le plus universellement partagé défie bien des probabilités d’éloignement, même la distance entre deux continents. Mais il est une chose dont l’amitié a besoin, comme une plante du soleil et une endive d’obscurité : c’est de temps.

 

Voilà peut-être pourquoi elle demeure le plus beau pied de nez à nos sociétés affairistes fascinées par la performance. « On ne connaît que les choses que l’on apprivoise, dit le renard. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi ! — Que faut-il faire ? dit le petit prince. — Il faut être très patient, répondit le renard. » (St-Exupéry)

 

Aujourd’hui, 14 février, quel beau prétexte pour apprivoiser quelqu’un, lui offrir un chocolat, un baiser, un sourire, un Valentin. Avec un peu de chance, vous pourriez vous faire un ami. Et avec un peu d’imagination, ça pourrait ressembler à l’amour.

 

JOBLOG

Chère Joblo,

Je t’écris pour t’exposer mon dilemme, sachant que ton regard est chirurgical et pénétrant sur les us et coutumes humains. Est-ce in de se faire un party pour célébrer ses 25 ans de fréquentation avec son mari vraiment pas neuf ? L’importance des rites inclut-elle l’importance de marquer publiquement les réussites amoureuses ? J’ai une certaine pudeur, peut-être parce que plusieurs invités n’ont pas ou ont très peu de vie de couple, ou parce que j’ai l’impression d’être un cas pour le Guinness. Je réfléchis. Les invitations ne sont pas encore lancées. J’ai boycotté tous les rituels ; pas de bal de finissante ni à la polyvalente, ni à l’université, pas de mariage (un contrat, quand même, pas folle la guêpe !), pas de baptême, pas de party de 40 ou 50 ans, pas de ceci et cela. Alors, pourquoi un party de 25 ans de vie commune ? Mon chum me dit que c’est pour se payer un gros party… tout simplement.

 

Une quinqua


Chère quinqua,

Les rituels nous permettent d’encaisser le passage du temps et d’arrêter les horloges, une fois, rien qu’une fois, afin de nous regarder dans le blanc des yeux et nous dire : content(e) de t’avoir choisi(e) et merci d’y avoir cru. Le nombre de témoins importe peu, mais partager son bonheur le décuple généralement.

 

Finalement, vous faites un party thématique avec le mot « amour » au programme. Tous ces gens que vous hésitez à inviter seront peut-être présents à vos funérailles ; ce serait dommage d’attendre jusque-là pour trinquer et se redire combien il est bon d’aimer pour le meilleur et pour le pire. Et c’est en partie grâce au pire qu’on progresse.

 

Quant à ceux qui n’ont pas de vie de couple, comme vous dites, ils ont tout de même besoin de modèles et d’espoir, ou simplement envie de vous voir heureux sans comparaison et vous leur fournissez une bonne raison d’acheter du champagne. Plus vous aurez de célibataires invités, plus ils auront de chance d’unir leurs destinées pour la nuit ou pour la vie eux aussi. Je ne vois que du beau dans tout cela. Et nous manquons cruellement d’occasions de le partager. Je vous souhaite un autre quart de siècle ensemble !

 

Joblo

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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