Partialité électorale

Museler l’arbitre, limiter ses pouvoirs, élargir la patinoire pour favoriser les plus gros joueurs, voilà la recette que les conservateurs ont suivie pour réécrire la Loi électorale, rebaptisée Loi sur l’intégrité des élections. L’analogie sportive n’est pas fortuite, elle est directement inspirée des propos du ministre responsable de la Réforme démocratique, Pierre Poilievre.

 

« L’arbitre [électoral] ne devrait pas porter le chandail d’une équipe », a-t-il déclaré mardi pour expliquer sa décision de retirer à Élections Canada ses pouvoirs d’enquête, qu’il a confié à un commissaire indépendant. Sans toutefois lui accorder les pouvoirs que demandait le directeur général des élections (DGE) Marc Mayrand, ce qu’il a déploré.

 

Le ministre a expliqué son image un peu plus tard en disant que le commissaire ne peut faire partie d’Élections Canada alors qu’il peut être amené à enquêter sur cet organisme. Mais le ministre savait très bien que sa formule étudiée jetait un doute sur l’impartialité de M. Mayrand.

 

M. Poilievre est trop habile avec les mots pour ne pas avoir soupesé le poids de sa déclaration. Comme de toutes les autres qu’il nous sert depuis mardi et qui donne une image déformée de son projet de loi. Il prétend, par exemple, mettre un frein à l'« influence indue » de l’argent, mais augmente les limites de dépenses des partis et des candidats. Certaines dépenses engagées pour solliciter des fonds durant une campagne électorale ne seront plus comptabilisées, une échappatoire pour se soustraire aux limites de dépenses. (Ma collègue Hélène Buzzetti décrit ces dispositions en détail dans nos pages, aujourd’hui.)

 

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Tout le monde a répété, y compris l’opposition, qu’il y a du bon dans ce projet de loi. Mais, mais… Il y a des éléments litigieux et préoccupants. Et il y a les tactiques du gouvernement. Le contenu et la méthode en révèlent beaucoup sur sa conception de la démocratie. Pour les conservateurs, les électeurs ne sont plus des citoyens, mais des clients pour les marchands politiques.

 

Le ministre lui-même parle, pour inciter les gens à voter, d'« amélioration du service à la clientèle », ce qui justifierait selon lui de limiter les activités publicitaires du DGE à la diffusion d’information sur la manière de voter, le moment et le lieu. Plus question de promouvoir la participation. Selon l’ancien DGE Jean-Pierre Kingsley, cela équivaut à dire au commissaire aux langues officielles de ne plus parler de langues officielles.

 

Mais le ministre dit que ce genre de campagnes ne fonctionne pas. En fait, laisse-t-il entendre, sans rire, elles pourraient même être la cause de la chute du taux de participation puisque le déclin coïncide avec le début de ces campagnes. Mais coïncidence pour coïncidence, ce sont les jeunes de 18 à 34 ans qui votent le moins, alors que les personnes plus âgées, qui affichent le taux de participation le plus élevé, sont plus enclines à voter pour les conservateurs.

 

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Absence de consultation, élaboration en vase clos et débat tronqué dès les premières étapes ne peuvent inspirer confiance. Lundi soir, après quatre maigres jours de débats, le projet de loi prendra la route du comité parlementaire où, par le passé, les conservateurs ont presque toujours refusé les amendements proposés par l’opposition ou inspirés par les témoins.

 

Tout dans la démarche du gouvernement est contraire à la tradition. Étant donné le rôle central joué par la loi électorale dans notre processus démocratique, elle doit, pour inspirer confiance et susciter l’adhésion, reposer sur le plus large consensus possible. Ceci explique que, par le passé, peu de changements ont été apportés dans des discussions préalables avec les autres partis et, surtout, avec le directeur général des élections. Le premier ministre Jean Chrétien avait peu consulté avant d’imposer le financement populaire des partis. La résistance ne venait toutefois pas des autres partis, mais de ses propres rangs.

 

Le projet de loi C-23 est d’une telle portée qu’il devrait aller de soi que le débat puisse durer le temps nécessaire pour que les députés puissent s’exprimer. Il faut aussi que l’avis du DGE soit pris en compte. Mais comme tout le monde le craignait, la dent qu’ont les conservateurs contre le DGE a influencé l’ensemble de l’oeuvre.

 

Responsable de la conduite des élections, le DGE n’est au service d’aucun parti. Si Marc Mayrand a pris plus souvent en défaut les conservateurs, c’est que ces derniers ont plus souvent interprété la loi à leur manière. Alors que les autres partis cherchaient des solutions à l’amiable, les conservateurs ont préféré, la plupart du temps, combattre le DGE devant les tribunaux.

 

La loi électorale est censée servir les citoyens et l’exercice de leur droit démocratique le plus fondamental : leur droit de vote. Elle encadre le processus électoral pour contrer la tricherie et assurer un équilibre du rapport de force, en particulier face au pouvoir de l’argent.

 

Si les intérêts du PC n’ont pas pris le dessus sur les intérêts des citoyens dans ce dossier, il n’en tient qu’au gouvernement de le démontrer. En laissant le Parlement faire son travail dans les formes.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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