Revue de presse - La fausse note de Neil Young
Sa voix haut perchée n’a pas perdu un brin de précision au fil des ans et son folk-rock-grunge continue de fasciner des milliers d’admirateurs. Musicalement parlant, Neil Young demeure une icône à 68 ans. Mais lorsqu’il s’agit de politique, le statut de l’artiste canadien est un peu moins consensuel, remarquait-on cette semaine, après sa sortie controversée contre les sables bitumineux.
Dimanche dernier, Neil Young entamait une minitournée baptisée « Honour the Treaties ». Celle-ci vise à amasser des fonds pour appuyer un recours juridique de la première nation Chipewyan d’Athabasca, qui s’oppose au projet d’expansion de la mine Jackpine de Shell (à 70 km au nord de Fort McMurray). En conférence de presse, Young a livré une charge contre les sables bitumineux et contre un gouvernement conservateur pour qui « l’argent est une priorité absolue ».
Il a comparé Fort McMurray à Hiroshima (comparaison qu’il avait déjà faite à Washington en septembre 2013), a indiqué n’avoir jamais vu quelque chose d’aussi « laid et destructeur » qu’un site d’extraction de sables bitumineux, et a soutenu que l’essentiel du pétrole albertain est consommé en Chine. Au chapitre des efforts personnels qu’il fait pour ne pas consommer de pétrole, Neil Young a vanté le fait qu’il conduit une voiture électrique.
Suivant ces commentaires, le Calgary Sun a invité Young à se concentrer sur la musique à l’avenir. « S’il y a une chose que les citoyens détestent, c’est de se faire dire quoi faire ou quoi penser par une célébrité richissime », dit-on. Le Sun dénonce la comparaison exagérée avec Hiroshima, rappelant que la bombe atomique qui a dévasté la ville japonaise a fait plus de 70 000 morts.
Neil Young conduit une voiture électrique ? Mignon, dit le Sun. Mais le chanteur oublie que l’électricité qui alimente son véhicule provient de toutes sortes de sources d’énergie, y compris le polluant charbon. De toute façon, souligne-t-on, ce n’est pas de voitures électriques qu’ont besoin les autochtones de l’Alberta : ils ont plutôt besoin d’emplois, comme ceux qu’amène l’exploitation des ressources naturelles dans la région. Cela doit se faire dans le respect des règles environnementales, reconnaît le Calgary Sun, mais, selon lui, c’est déjà bien le cas.
Dans le National Post, Peter Foster écrit que la charge mal dirigée de Neil Young contre les sables bitumineux dessert les communautés autochtones qu’il espère aider. Foster rappelle qu’il n’y a pas de preuve que le taux de cancer élevé à Athabasca soit une conséquence de l’exploitation de la mine. Il relève également que la communauté Chipewyan profite économiquement de la présence de Shell dans le secteur — ce que le chef de la nation ne nie pas.
Comme le Sun, Foster estime que le meilleur espoir d’amélioration des conditions de vie des communautés éloignées « repose sur les emplois liés aux ressources naturelles »… plutôt que sur un soutien basé sur de fausses prémisses.
Partant du même incident, Don Braid écrit dans le Calgary Herald que l’inaction de la province en ce qui concerne l’adoption d’un plan de lutte contre les changements climatiques ouvre la porte à des critiques exagérées comme celles de Neil Young. En refusant d’agir, l’Alberta se rend vulnérable aux attaques et à la démagogie, croit Braid.
Charte et York
Dans un long éditorial publié mercredi, le Globe and Mail est revenu sur le projet de loi 60 du gouvernement Marois, dans le contexte de l’accommodement religieux accordé par l’Université York à un étudiant qui ne voulait pas participer à un atelier où des femmes seraient présentes.
Le Globe écrit que la liberté de religion, au Canada, est une valeur intrinsèque depuis bien avant l’adoption de la Charte des droits et libertés. Il rappelle qu’en 1807, Ezekiel Hart, un juif élu à la Chambre d’assemblée du Bas-Canada, n’avait pu siéger parce qu’il ne pouvait prêter serment sur la Bible. Mais 25 ans plus tard, cette même Chambre vota en faveur de l’émancipation politique des juifs — le Bas-Canada fut ainsi le premier territoire de l’Empire britannique à adopter une telle loi, plus d’un quart de siècle avant l’Angleterre.
Ce geste fut le premier d’une série faisant du Canada un pays où les gens de toutes les confessions ont pu pratiquer leur religion librement, pour autant que cela respecte les lois civiles. Le Globe estime qu’il y a un parallèle entre le cas Hart et la charte de la laïcité du gouvernement Marois : Hart aurait dû renier sa foi pour exercer une charge publique, ce que propose en partie la charte.
« C’est un immense pas en arrière par rapport à une tradition de tolérance et d’accommodement », estime le quotidien, qui pense que la charte créerait un nouveau régime de non-accommodement irraisonnable.
Cela dit, l’accommodement offert par York est injustifiable, ajoute le Globe. Les universités doivent accommoder les différences, mais pas si cela désavantage quelqu’un, nie l’égalité homme-femme ou ne respecte pas la non-discrimination raciale. Or, le cas de York franchit cette ligne, pense-t-on.
Quelques jours plus tôt, le National Post avait aussi dénoncé en éditorial la décision de l’Université. Selon le Post, le professeur qui a reçu la demande d’accommodement a bien agi en consultant différentes personnes et en cherchant une solution au problème : c’était là un réflexe intelligent. Mais le Post se décourageait de voir comment les experts en droits de la personne de l’Université ont pu bousiller le dossier.