J’en suis, Sylvain
Encore une fois, pour lancer la nouvelle année, le collègue Sylvain Cormier a rameuté en nos pages quelques chercheurs d’or qui, comme lui, couraillent brocantes et marchés aux puces à la recherche de la pépite musicale obscure, rarissime ou bizarre gravée pour l’éternité dans les sillons de vinyle d’un disque qui dort en attendant d’être redécouvert. Il nous lance : « L’amicale de la belle galette s’agrandit, en faites-vous partie ? » J’en suis, Sylvain, à ma modeste mesure.
Parcourant durant les vacances ma modeste discothèque de « longs jeux » à la recherche de mon René Simard chante Noël, je m’arrêtai sur la courte mais bien-aimée section consacrée au théâtre. J’y ai pioché récemment, peut-être vous en souvenez-vous, le microsillon du 25e anniversaire du TNM ; je souhaitais entendre la voix de Jean-Louis Roux alors que celle-ci venait de s’éteindre définitivement avec lui. L’entrechoquement de sa diction parfaite et de la parlure d’Yvon Deschamps dans une scène de L’ouvre-boîte de Victor Lanoux ne manque pas de déclencher les rires du public, captés eux aussi, saisis là en pleine joie comme partie intégrante de l’événement spectaculaire.
Les archives sonores du théâtre québécois sont bien minces. Les déjà rares documents datant d’avant les années 80, souvent enregistrés sur des supports fragiles et difficilement accessibles aujourd’hui, ont été si peu numérisés. Plusieurs d’entre eux sont sans aucun doute irrémédiablement perdus. Art éphémère, existant dans le moment de la représentation, d’accord ; mais les traces demeurent utiles, éclairantes, fascinantes, émouvantes parfois.
Très peu de manifestations théâtrales ont reçu l’honneur du pressage et de la mise en marché, évidemment. De plus, le minutage réduit empêchait le plus souvent de tout y mettre, on dispose plutôt de compilations de scènes et plus souvent de chansons extraites de pièces. C’est toujours ça de pris.
Un air de cirque
Est-ce le fétichisme qui me poussa à me procurer la version originale 33 tours de l’album du Grand Cirque Ordinaire portant son nom, alors que j’en possédais déjà la version CD grâce au livre-disque Théâtre chanté que Raymond Cloutier a sorti chez Lanctôt en 2003 ? Un peu, sans doute. Mais les collectionneurs connaissent les sensations qui naissent de la manipulation de l’objet, du déploiement de la pochette, du crépitement de l’aiguille sur une surface qui a du vécu.
Au printemps 2009, on a rouvert le Quat’Sous par l’événement Dans les charbons, concocté par Loui Maufette. Émile Proulx-Cloutier y chantait au piano une chanson composée plus de trente ans auparavant par son père ; la Suite pour un truchement, en 1975, ça sentait déjà le désenchantement pour le Grand Cirque, l’innocence envolée. Ce soir-là d’il y a cinq ans, dans mon fauteuil, sous l’influence de mon vinyle écouté et réécouté, je me suis surpris à chanter moi aussi, tout bas.
En secret
Mon ovni chéri demeure le double 45 tours tiré de la comédie musicale Ne ratez pas l’espion, sur une musique de Claude Léveillée et un livret coécrit par Louis-Georges Carrier et… Hubert Aquin. Nous sommes au Théâtre de Marjolaine, en 1966. Sur scène, pour donner vie à cet improbable croisement entre Jeunesse d’aujourd’hui et James Bond, s’ébrouent de jeunes artistes dont les visages souriants s’étalent dans les pages aujourd’hui à peine jaunies de mon livret d’accompagnement : Andrée Lachapelle, Guy Sanche, Guy Boucher, Elizabeth Chouvalidzé, Robert Charlebois, Louise Forestier…
Outre les bijoux kitsch que sont les morceaux musicaux Chanson espagnole, Le mot de passe, Rendez-moi mes médailles ainsi que la pièce-titre, l’objet au graphisme psychédélique contient également un mystérieux message à décoder grâce à une petite grille perforée, gracieusement fournie. L’Université de Montréal a récemment numérisé et rendu accessible en ligne un enregistrement intégral de ce spectacle qui dormait dans les archives d’Aquin. On trouvera au même endroit affiche et photos de la production ; de code secret par contre, niet. Là, ça prend le vinyle.
J’attends avec impatience, par voie postale, mon disque de Claude Léveillée chante Un simple soldat (1967) contenant dix chansons inspirées des tourmentes de Joseph Latour, célèbre antihéros de Marcel Dubé. Il faut attendre la toute fin de la face B pour entendre « Ton coeur qui bat sous ta vareuse » ; sur la pochette, portant ledit vêtement et cigarette au bec, figure le créateur du rôle, le grand Gilles Pelletier. Lui, au moins, on l’a encore.
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Je passerai l’hiver la valise à la main, pour d’incessants bonds d’un côté à l’autre de la rivière des Outaouais. Ce nomadisme passager imposant son rythme au corps comme à l’esprit, notre rendez-vous ici même aura désormais lieu toutes les deux semaines, jusqu’au retour des beaux jours. On se retrouve donc le 27 janvier.