L’hiver de force

C’est aussi prévisible qu’une bordée de neige avant Noël. Chaque année, le retour de l’hiver fait ressortir les ronchonneux du temps froid, les angoissés du déneigement, les déprimés du banc de neige et autres Don Quichotte des cycles saisonniers. En choeur, et en donnant l’impression d’être numériquement supérieurs d’une année à l’autre, ils viennent injecter une bonne dose d’ambiance dépressive dans une période qui, avec sa baisse de luminosité naturelle, n’a pas vraiment besoin qu’on lui en rajoute.

 

Cette semaine, un grand pourvoyeur de voyages dans le Sud s’annonçait sur les colonnes publicitaires de la ville avec un message sans équivoque : « L’hiver, c’est poche » ! La vente de rêve ne prédispose pas nécessairement à la subtilité et à la poésie.

 

Le chant des grincheux du flocon est fatal. Même si, depuis la nuit des temps, le Québec est nordique, nier cette condition est devenu en effet un sport national, un marqueur même de l’identité, particulièrement à Montréal. Là, l’hiver donne l’impression chaque année d’être vécu de force, dans une grande impuissance et une terrible injustice qui pousse du coup, avec ostentation, à affirmer son état de victime d’une géographie subie.

 

La tendance est aussi solidement ancrée qu’une langue sur une clôture de métal à -16 °C. Mais elle pourrait aussi être renversée facilement, avec un peu d’imagination et quelques changements de paradigmes. Des pistes ?

 

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Météorologique. Après plus de quatre cents ans d’occupation du territoire, il est peut-être temps d’en revenir : l’hiver, oui, il fait froid et il y a de la neige. Des tempêtes de neige aussi. Pourquoi donc amplifier cette évidence avec des histoires de températures ressenties et des alertes surlignées en rouge, par des bulletins météo, comme pour mieux faire du spectacle avec les éléments, semer la peur et l’angoisse ? Et si l’on mettait fin à cette exagération délétère pour le moral, pour revenir à une météo plus réaliste et moins impressionniste.

 

Circulatoire. L’obsession du déneigement, c’est bien, mais elle devrait avant tout se concentrer sur les zones destinées aux piétons plutôt qu’aux rues et aux espaces de stationnement des voitures. L’hiver, la neige ralentit la vie et les déplacements, c’est vrai. La résistance est frustrante en plus d’être coûteuse. Alors ? Le déneigement des trottoirs devrait devenir une nouvelle obsession — ce n’est pas toujours le cas sur les rues non commerciales — pour permettre aux humains « bloqués » par la neige de plus facilement appréhender l’environnement à leur disposition à portée de marche. L’hiver est plus agréable quand on peut marcher sans risque de chute pour aller faire son épicerie, travailler ou partager une fondue chinoise avec un ami ou un voisin pour se réchauffer. Bien sûr, le culte de l’automobile gagnerait, dans cette optique, à être un brin remis en question.

 

Respiratoire. En hiver, pourquoi s’obstiner à faire du vélo stationnaire dans un centre de conditionnement physique alors qu’il y a tant à faire dehors. Ski, raquette, patins sur les bassins urbains gelés, spa… l’offre de divertissement en plein air est loin d’être limitée, mais elle semble aussi sous-utilisée. La faute sans doute aux bulletins météo qui appellent tout l’hiver à rester enfermé chez soi. Les soirs de semaine, sur le lac aux Castors, à Montréal, le Montréalais brille souvent par son absence, contrairement aux touristes qui semblent trouver l’environnement très agréable pour donner des airs festifs à l’hiver.

 

Exploratoire. Il est étonnant de voir qu’un pays nordique comme le Québec n’ait pas culturellement intégré l’une des composantes les plus agréables de la nordicité en hiver : le spa. Bain chaud extérieur, bain froid, sauna sec ou à la vapeur, la chose a, dans son développement commercial actuel, un je-ne-sais-quoi d’élitiste et d’ésotérique, alors qu’elle a tout, avec le froid et la neige qui prévalent ici, pour s’intégrer dans la vie quotidienne des gens d’ici. Le spa n’est pas ce lieu idéal pour les couples en mal de rapprochement, comme on cherche malheureusement trop à le vendre. C’est une façon de se détendre, de mettre fun et froid dans une piscine sous les étoiles, tout en passant l’hiver loin de la grippe, du rhume et des salles d’attente d’un CLSC.

 

Et si des spas municipaux voyaient le jour dans les quartiers, à l’image des piscines extérieures en été (ouvertes seulement deux mois par année, d’ailleurs) ? Et si cela devenait une activité familiale, un rendez-vous hebdomadaire normal, une fois par semaine ? L’hiver n’en serait sans doute que plus agréable et les grincheux de l’immuable un peu moins nombreux.

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