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Ottawa — Le ministre des Finances, Jim Flaherty, n’était pas peu fier, dimanche, d’affirmer que le surplus du gouvernement fédéral serait finalement supérieur à ce qu’il avait lui-même anticipé pour 2015-2016. Il n’a pas avancé de chiffres, mais sa mise à jour économique de l’automne avançait celui de 3,6 milliards et en décembre, le directeur parlementaire du budget haussait la barre à 4,6 milliards.

 

De la musique aux oreilles des conservateurs qui cherchent par tous les moyens à relancer leur gouvernement malmené. Ils ont toujours misé sur l’économie et les finances publiques pour redorer leur image, mais il y a davantage en jeu dans cette insistance sur l’équilibre budgétaire. De lui dépend la mise en oeuvre de certaines promesses faites durant la campagne de 2011.

 

Les conservateurs s’étaient alors engagés à doubler le crédit d’impôt pour la condition physique des enfants, d’en créer un pour les adultes, de doubler la limite de cotisation au Compte d’épargne libre d’impôt (CELI) et, surtout, de permettre aux parents d’enfants mineurs de fractionner leurs revenus aux fins d’impôt.

 

Ces promesses, évaluées à plus de 3 milliards de dollars, ont l’avantage de profiter à la première clientèle que courtisent les conservateurs : les classes moyenne et riche. Car il faut être capable, pour profiter de ces mesures, de payer son inscription ou celle des enfants à des activités sportives, ou encore avoir les moyens de cotiser à un CELI.

 

Il en va de même pour la mesure la plus coûteuse et la plus controversée de leur programme : le fractionnement du revenu des familles avec enfants. Les parents ayant deux revenus très inégaux ou n’ayant qu’un seul revenu sont les premiers visés. D’ailleurs, les principaux promoteurs de cette idée citent volontiers le cas des familles où un des parents, généralement une femme, reste à la maison pour prendre soin des enfants.

 

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Le fractionnement fonctionne comme suit. On permet au parent ayant le revenu le plus élevé d’en attribuer une partie (jusqu’à concurrence de 50 000 $) à son conjoint. Il ne s’agit pas d’un transfert financier, mais strictement comptable qui permet, si le conjoint moins nanti paie peu ou pas d’impôt, de réduire le taux d’imposition applicable à la tranche de revenus transférés. Plus l’écart de revenus entre les deux conjoints est important, plus les gains sont alléchants.

 

Cela veut dire, en contrepartie, qu’un chef de famille monoparentale n’obtiendra absolument rien. Pas plus que les familles où les deux parents ont des revenus modestes et sont soumis aux mêmes taux d’imposition. Deux parents ayant des revenus à peu près égaux n’économiseront rien même si leur revenu familial est équivalent à celui de leur voisin, qui n’a qu’un seul revenu et peut le fractionner.

 

À l’automne 2011, l’Institut C.D. Howe s’est penché sur le projet conservateur. Les conclusions de ses chercheurs étaient catégoriques. Les bénéfices de cette mesure seraient largement concentrés entre les mains des couples les mieux nantis et n’ayant qu’un seul revenu. En fait, 40 % des retombées iraient aux familles dont le revenu est supérieur à 125 000 $, avec des gains pouvant atteindre 6400 $. Environ la moitié des familles avec enfants, en revanche, économiseraient entre zéro et 500 $ par année.

 

Bref, notent les chercheurs, ce sont les couples qui ont déjà les moyens de se priver d’un salaire qui recevraient le plus d’aide pour passer du temps avec leurs enfants. « Une pure aubaine », écrivent-ils, alors que les parents qui auraient le plus besoin de cette aide n’en bénéficieraient pas. Selon eux, d’autres solutions plus équitables sont possibles.

 

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Les conservateurs aiment serrer la vis quand il est question de dépenses de programmes, mais ils restent bien silencieux au sujet de ce que le ministère des Finances appelle les dépenses fiscales, soit tous ces allégements fiscaux ciblés. Parce que ce sont des dépenses. Toute largesse, sous forme de déboursés en argent sonnant ou de réduction d’impôts équivalant à une cession de revenus, a un coût pour l’État.

 

Et quand le gouvernement décide de laisser aller 12 milliards de revenus sous la forme d’une réduction de deux points de TPS, cela a un impact sur sa capacité financière. Quand il envisage de renoncer à 2,7 milliards de revenus en permettant aux familles avec enfants de fractionner leur revenu aux fins d’impôt, cela touche l’ensemble des citoyens qui devront peut-être accepter des services réduits ou de nouveaux frais pour éponger la facture.

 

Dans les cas de la TPS et du fractionnement du revenu, on parle de milliards carrément dilapidés puisqu’il s’agit de mesures électoralement rentables, mais sans effet de levier économique ou social pour l’ensemble de la collectivité. Ce sont aussi des carcans qui menotteront les futurs gouvernements et limiteront leur capacité de répondre à des crises financière, démographique ou environnementale.

 

Le surplus qui fait saliver les conservateurs doit encore se concrétiser, mais ce qu’ils rêvent d’en faire devrait faire l’objet d’un débat. Un vrai ! Et le plus tôt possible, car l’enjeu est plus que financier. Il s’agit d’un choix de société pour les années à venir.

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