Il faut qu’on parle de l’école

La ministre de l’Éducation souhaite organiser un sommet sur l’enseignement ? Ce n’est pas une mauvaise idée.

 

Précisons que c’est un allergique aux sommets qui parle. Qu’à force de voir ces rencontres virer à l’entreprise de dédouanage et au coûteux exercice de relations publiques, la seule mention de la chose en est venue à générer chez moi une réaction épidermique.

 

Comme pour les poux. N’avez qu’à en parler et ça me démange.

 

Alors, pourquoi cet enthousiasme soudain ? Parce que plus rien n’a de sens dans l’univers des profs. Parce qu’il n’y a pas que les programmes et la pédagogie qui sont en cause. Je parlais d’allergie : on dirait que le monde est désormais intolérant à l’école en même temps qu’il en réclame l’impossible.

 

Il faut donc qu’on parle d’enseignement, de son essence. Il faut qu’on discute de la place de l’école dans la cité. Il faut poser des questions que personne n’a envie d’entendre. Par exemple : la matière qu’on y enseigne doit-elle être au centre de nos préoccupations, ou en périphérie, là où elle orbite en ce moment avec les maux nécessaires ?

 

Il faut aussi qu’on parle de savoir, c’est sûr. Et beaucoup des racines du mépris qu’essuient ceux qui le dispensent. Ce qui, bien plus encore que le fric, fait fuir les jeunes candidats.

 

Il faut se demander dans quelle mesure le monde actuel est compatible avec l’idée que les vieux croûtons de ma sorte se font de l’école. Et quand je dis vieux, je ne parle pas d’âge autant que d’un idéal millénaire qui place le maître au-dessus de la mêlée, qui lui donne tous les pouvoirs dans sa classe, mais qui exige aussi de celui-ci qu’il figure parmi les meilleurs. Pas seulement dans le lot de ceux qui ont la passion d’enseigner, mais de ceux qui possèdent aussi leur matière. À commencer par une maîtrise parfaite de son véhicule : la langue.

 

J’en parle parce que la ministre évoque le respect de la profession et que, de tout temps, ce respect a été l’affaire d’une autorité assise sur quelque chose qui ressemble à la perfection.

 

Je l’ai déjà écrit et le répète ici : les profs sont le produit de l’environnement dont ils sont issus. On ne peut pas leur reprocher toutes leurs faiblesses, qui sont surtout celles d’un système, mais il est nécessaire de s’indigner que, dans une société du savoir qui s’enorgueillit de sa modernité, on produise des maîtres qui ne peuvent faire autrement que de retransmettre leurs propres failles.

 

Ce n’est pas la seule chose dont il faut discuter. Et puis, j’ai le sentiment que ce n’est pas non plus l’essentiel. J’entends par là que, si la qualité de la langue n’est plus une priorité pour la majorité, cela n’a peut-être d’importance que pour les vieux croûtons comme moi.

 

Si c’est le cas, alors il faut se rendre à l’évidence : l’école n’est simplement plus ce qu’elle était, ne le sera plus jamais, et tant pis.

 

C’est de cela qu’il faut aussi parler. D’à quoi sert l’école. Vraiment. Est-ce une zone de transit vers le travail, un agrégat de compétences ? Ou est-ce encore un lieu de savoirs qui ne sert pas qu’à départir les futurs médecins des futurs plombiers, mais à les faire grandir dans le même terreau citoyen, à leur donner la même culture générale ?

 

J’ai l’air de poser la question de manière rhétorique et de donner en même temps la réponse. Mais pas une seconde. Il faut qu’on choisisse ce qu’on attend réellement de l’école. Et surtout ce que la société lui met comme bâtons dans les roues.

 

Il faut ce sommet pour qu’on parle du clientélisme, des parents hélicoptères obsédés par le rendement de leurs petits « génies », du salaire des profs qui a quand même à voir avec le désintéressement de certains candidats, de la nécessité de rendement des écoles qui force le nivellement par le bas, des classes hétérogènes où l’on inclut les enfants souffrant de troubles d’apprentissage importants…

 

Enfin, il faut qu’on parle de l’école pour déterminer ce qu’on y fait de bien. Pas pour se péter les bretelles, mais pour se dire qu’on n’est pas totalement nuls non plus.

 

Il faut qu’on parle de tout cela en même temps, oui. Il faut qu’on remette tout en doute. Il faut qu’on s’imagine ce que serait l’école s’il fallait l’inventer maintenant. Il faut qu’on s’enrage, qu’on exige l’impossible pour au moins se rendre à mi-chemin. Ce serait déjà beaucoup.

 

On me dira que je ne connais rien au milieu scolaire, que je raconte n’importe quoi, que je veux tout et son contraire, qu’il y a trop de cas problématiques, trop de violence, trop de fonctionnaires, trop d’attentes irréalistes, trop de choses à faire et surtout pas assez de fric.

 

Soit, c’est donc un rêveur qui parle.

 

Quelqu’un qui fantasme que ce lieu où l’on donne aux enfants les outils pour penser soit un rempart contre la connerie ambiante. Pas sa victime.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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