Vos finances - Spéculer à haute fréquence
Toutes ces banques et tous ces négociants accusés de manipuler les taux de change ou encore le Libor ; toutes ces firmes spécialisées et ces autres fonds alternatifs faisant leur pain et leur beurre en spéculation sur de minces écarts en fermeture et entre titres sous-jacents… Les transactions à haute fréquence (en anglais HFT) retiennent l’attention ? Elles étaient tolérées tant qu’elles s’alimentaient d’imperfections de marché ? Elles inquiètent depuis, tant elles pourraient être la cause de ces imperfections dont elles se nourrissent ?
Selon la revue scientifique Nature, les marchés boursiers auraient connu plus de 18 500 mini-krachs depuis… 2006. Ou encore, une demi-seconde de négociation peut comprendre 1200 commandes et 215 véritables transactions. Quand les gains en Bourse ou sur les marchés financiers dépendent de la rapidité de l’algorithme, nous entrons dans l’univers de la volatilité. En décortiquant le jeu de ces robots ou automates, il a été recensé que, sur les quelque 18 500 soubresauts erratiques des cours observés entre 2006 et le début de 2011, les prix ont connu des variations de 0,8 % ou plus sans aucune rationalité, avant de revenir à leur juste valeur réelle, peut-on lire dans la documentation sur les transactions à haute fréquence. Et depuis ce temps, la vitesse d’exécution de ces automates a été multipliée par six.
Plus des deux tiers des transactions
L’institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) a déposé cette semaine une brochure qui nous rappelle que « plus des deux tiers des décisions mondiales de vente ou d’achat sur les marchés financiers sont prises par des intelligences artificielles ».
L’auteure de la brochure, Caroline Joly, revient sur cet événement survenu en septembre 2008. Pour une raison ou une autre, un article datant de 2002 portant sur une possible faillite de la compagnie aérienne United Airlines a été détecté par un algorithme. En six minutes on a assisté à une dégringolade de 76 % du prix des actions d’United Airlines.
Plus récemment, le 23 avril 2013, le compte Twitter de l’agence Associated Press, alors victime d’un pirate informatique, a publié un tweet piraté annonçant que la Maison-Blanche venait d’être la cible d’une explosion terroriste et que, dans la foulée, le président Obama avait été grièvement atteint. Ce canular a déclenché une réaction en chaîne. Wall Street a aussitôt perdu quelque 136 milliards de dollars, avant de se rétablir trois minutes plus tard.
Entre les deux, soit le 6 mai 2010, un ordre « flash » passé dans le système d’exécution automatisé a fait chuter la Bourse américaine de 10 %, le temps d’un clic ou deux.
Inefficiences
Ces systèmes ont été conçus au départ pour tirer profit d’inefficiences de marché. Jouant les écarts ou les fourchettes de prix, ou encore s’alimentant d‘arbitrages entre deux produits financiers ou conçus pour ajouter de la volatilité dont peuvent se nourrir les options, ces algorithmes ont aujourd’hui besoin de toujours plus de vitesse. Ils sont engagés dans ce que l’on appelle une véritable « course à l’armement ». Dans cette quête inlassable de rapidité d’exécution à des coûts toujours plus bas, qui se mesure en microsecondes, on peut atteindre facilement un millier d’exécutions de transactions à la seconde. L’encadrement réglementaire ne peut qu’avoir de la difficulté à suivre tout cela.
« Loin de faire l’unanimité, indique l’IRIS, le HFT soulève toutefois maintes controverses, et ce, pour diverses raisons. Il comporte des risques systémiques graves liés à des réactions en chaîne perverses causées par des erreurs de programmation ou des comportements algorithmiques déviants impromptus. Il augmente considérablement la faculté d’abus des marchés, particulièrement la possibilité de manipulation des cours. Et il pose un problème d’équité concurrentielle, dans la mesure où il donne un avantage significatif aux spéculateurs détenant les moyens de s’y adonner. »
À l’échelle humaine
À ce jour, il a été proposé qu’on oppose à cette spéculation à haute fréquence une « limite de vitesse », qu’on ramène l’exécution par ordinateur à l’échelle humaine. D’autres, c’est le cas en Europe, invitent les gouvernements à taxer ces transactions de nature spéculative. Quant aux effets systémiques…
Nous sommes loin de ces bonnes vieilles transactions programmées auxquelles on attribue 10 % du violent krach boursier d’octobre 1987, soumises depuis à des coupe-circuits en cas de fortes fluctuations. Et encore loin des prix reposant sur le bon vieux « fondamental ».