C’est du sport! - La saucisse de la discorde

Pas plus tard que la dernière fois, nous évoquions avec un à-propos de tous les diables la question de l’expérience client. L’expérience client est un concept crucial pour la prospérité du merveilleux monde du sport™ alors même que celui-ci doit plus que jamais convaincre l’amateur professionnel d’acheter un ticket à fort prix, d’affronter les inéluctables bouchons de circulation lourde, de dénicher une place de stationnement presque aussi chère que la valeur de revente de son véhicule moteur, d’endurer des voisins de banquette paquetés et de se faire bombarder par une publicité tapageuse ubiquitaire quand il pourrait rester tranquillement chez lui, profiter du confort de son canapé rembourré en imitation de plumes de gélinotte huppée, regarder le match sur écran plat à haute résolution avec 168 angles de caméra et des ralentis et des commentaires judicieux d’experts triés sur le volet qui connaissent ça et n’avoir que quelques pas à faire - et aucune file, merci beaucoup - pour accéder à un frigo dont sa prévoyance aura fait en sorte qu’il soit rempli de provisions d’autant plus idoines qu’elles furent acquises en spécial.

 

L’expérience client désigne donc tout ce qui vient s’ajouter à la joute elle-même. Tenez, dans les plus récents développements en la matière, on envisage, au Madison Square Garden fraîchement rénové, de lancer une application qui permettrait de connaître depuis son siège la longueur du temps d’attente aux cabinets d’aisances, autre preuve si besoin était que même avec la pédale de frein collée au plancher, on n’arrête pas le progrès. Ailleurs, cela se traduit par des distractions en tout genre, qu’il s’agisse de chanter Sweet Caroline en faussant au Fenway Park de Boston ou d’organiser des courses de saucisses au Miller Park de Milwaukee.

 

Autre truc à la mode : expédier du stock dans les gradins. De manière générale, l’amateur professionnel affectionne le stock, il adore en posséder et adore d’autant plus en posséder qu’il l’a lui-même capté de ses adextres mains. Mais attention, cela peut mal tourner.

 

Ainsi, lors d’un match de balle des Royals de Kansas City en 2009, la mascotte Sluggerrr était-elle affairée à garrocher des hot-dogs dans la foule en liesse (emballé serré, le roteux peut être livré à distance). Or l’un d’entre eux atteignit M. John Coomer en plein visage. Celui-ci subit un décollement de la rétine, qui provoqua par la suite des cataractes et le força à se faire poser un implant oculaire, ce qui lui a occasionné jusqu’à maintenant des débours de près de 5000 $. Il n’a jamais retrouvé sa vision d’origine.

 

M. John Coomer a donc entrepris de poursuivre les Royals en justice. Il est de notoriété publique et parapublique que si vous êtes atteint et blessé par une balle, un bâton, une rondelle ou une gomme tendre lorsque vous assistez à un spectacle sportif, vous ferez invariablement patate si vous tentez d’obtenir quelque dédommagement que ce soit : cela fait partie des risques normaux encourus par l’individu qui veut profiter de l’expérience client. Mais un hot-dog ?

 

Un tribunal de première instance a d’abord débouté M. John Coomer, le jury faisant valoir qu’il aurait dû se montrer alerte et surveiller ce qui se passait autour de lui, d’autant plus qu’il ne pouvait pas ignorer qu’on était en pleine séance de projection de chiens chauds. En appel, M. John Coomer l’a toutefois emporté, la cour ayant établi qu’être amoché par un hot-dog volant ne fait pas partie des risques ordinairement assumés par le spectateur.

 

Il revient donc à la Cour suprême du Missouri de trancher, ce qu’elle fera dans les semaines prochaines. L’avenir de la mascotte et de la saucisse pourrait s’en trouver chamboulé. Un dossier à suivre.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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