Une déclaration de guerre

On se calme. Même indirectement, Régis Labeaume n’est pas responsable de cette lettre de menaces envoyée aux syndicats de la Ville de Québec, missive signée par une obscure « Association des payeurs de taxes » qui se propose de jouer au baseball aux dépens des employés municipaux et leur famille.

 

Au baseball avec pas de balle, s’entend.

 

On peut bien accuser le maire sortant d’« exciter les esprits malades » ou d’entretenir un climat pourri chez les employés municipaux depuis le début de cette campagne électorale, cela ne le rend pas responsable de l’insondable bêtise de quelque ahuri qui s’alimente sous perfusion aux radios d’opinions et met son jugement en veille.

 

Ce serait un peu comme de reprocher aux pilotes de Formule 1 les excès de vitesse commis sur les routes publiques par des citoyens ordinaires.

 

Le libre arbitre, vous connaissez ? Pas Jean Gagnon. Le président du syndicat des cols blancs de la Ville de Québec a sauté sur l’occasion, lundi, de mettre en demeure Régis Labeaume et le directeur général de la Ville de Québec, qu’il tient responsables de ces menaces. Plus tard dans la journée, le voilà qui jonglait avec l’idée de poursuites au criminel pour incitation à la violence.

 

Vous l’avez compris, on ne comptera pas trop sur Gagnon pour calmer les esprits. D’autant qu’il détient un mandat de grève de ses membres depuis la semaine dernière. Et ajoutons, pour compléter le portrait, qu’au rayon des approximations, des raccourcis intellectuels et des exagérations grossières, il sert un peu de miroir à Régis Labeaume. Ce dernier l’a d’ailleurs traîné devant les tribunaux l’an dernier après que le syndicaliste a laissé entendre que l’octroi de contrats à la Ville allait de pair avec des contributions politiques… Un procès remporté par le maire dans un jugement lapidaire qui faisait état des limites de la liberté d’expression, outrageusement franchies par Gagnon.

 

Depuis le début de cette campagne, Régis Labeaume a désigné son principal adversaire, qui n’est pas David Lemelin, le chef de Démocratie Québec. C’est plutôt contre les syndicats des employés de sa ville qu’il a fait campagne.

 

Ce qui, quoi qu’on en pense, constitue une position plutôt courageuse.

 

D’autres diront à l’inverse qu’il s’agit là d’un discours bassement populiste. Sauf qu’au contraire des problèmes de transport où l’édile se range paresseusement du côté l’électorat de banlieue dont le coeur fait vroum vroum, celui-là est invisible, et aurait pu le demeurer.

 

Dans les administrations publiques, les déficits des régimes de retraite constituent un écueil majeur que les politiciens préfèrent pelleter vers l’avant. Sachant qu’il serait facilement réélu, le maire sortant a choisi d’ouvrir cette impasse, déclenchant une guerre de tranchées où sont aussi remises en cause les conditions de travail, tandis que les syndicats empruntent la voie des tribunaux pour faire pression sur le candidat.

 

Dans un jeu de rôles où tout le monde s’échange les masques de bourreau et de victime, Labeaume et les syndicats s’accusent mutuellement de tous les maux depuis quelques jours.

 

Le problème, c’est que cette foire d’empoigne les reconduit dans le cul-de-sac. C’est en bonne partie la faute au gouvernement du Québec, qui refuse de donner plus de pouvoirs de négociation aux villes. Mais en même temps, l’attitude de l’instigateur du conflit y est pour beaucoup.

 

Régis Labeaume prend avec un grain de sel les remarques concernant son tempérament. C’est son style. Il est comme ça, dit-il. Sanguin.

 

C’est cette impulsivité, devenue enthousiasme débridé, qui l’avait mené tout droit dans les bras de Clotaire Rapaille. Nombre de ses adversaires avancent que son adhésion au très coûteux coffre-fort virtuel relève de cette même impétuosité. Son opposant, David Lemelin, lui reproche le même aveuglement dans le dossier du financement des grands événements.

 

Tour à tour pyromane et pompier dans ses tentatives pour régler le problème des caisses de retraite, il est parvenu à s’aliéner sa fonction publique, devenue point de mire électoral. Cela prend un certain courage, disais-je, pour s’aventurer volontairement sur ce terrain au moment d’une élection. Mais en même temps, on a peu l’impression qu’avec son habituelle intransigeance, Labeaume cherche désormais à provoquer un si magistral incendie que le gouvernement du Québec n’aura plus le loisir de l’ignorer.

 

En face, si les syndicats répondent avec une telle démesure, c’est qu’ils ont bien compris que cette campagne électorale était une déclaration de guerre.

 

Passé le 3 novembre, les coups vont pleuvoir. Reste juste à voir lequel des deux adversaires descendra le plus bas.

À voir en vidéo