Biopic et fait vécu

« Aujourd’hui, tout ce qu’il y a de mort et d’héroïque fait l’objet d’un film. On exploite le filon jusqu’à la nausée », déplorait lors de notre rencontre l’année dernière au Festival international du film de Toronto la comédienne Audrey Tautou. Celle-là même qui, deux ans plus tôt, avait campé Coco Chanel devant la caméra d’Anne Fontaine.

 

Elle avait raison l’année dernière. Elle a doublement raison cette année. Le biopic explose. Au petit écran, Liberace et le duo Masters Johnson viennent de faire l’objet d’un film et d’une série, respectivement. Au grand, ça se bouscule. En témoigne cette semaine la sortie de The Fifth Estate, sur le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange. Suivront le mois prochain Kill Your Darlings, sur les jeunes années du poète Allen Ginsberg, et Violette, racontant un épisode du parcours de l’écrivaine et Violette Leduc. Aussi au menu de l’automne, Diana, sur la vie de la célèbre princesse britannique morte tragiquement (Naomi Watts), précédera de quelques mois Grace of Monaco, sur la vie de la célèbre princesse monégasque morte tragiquement. Entre ces deux blondes statufiées, la vie du jeune Nelson Mandela (Mandela : Long Walk to Freedom) nous sera contée à Noël.

 

Va pour les « héros » qu’on connaît. Au rayon de ceux qu’on ne connaît pas, l’achalandage est décuplé. En effet, Variety faisait remarquer cette semaine qu’une demi-douzaine de films porteurs de l’automne, pressentis dans la course aux Oscar, sont frappés du sceau « fait vécu ». Déjà sortis, on compte The Butler, sur le majordome de la Maison-Blanche (Forest Whitaker) et Captain Phillips, sur la prise d’otages en mer d’un équipage américain par des pirates soudanais. À venir le 1er novembre : 12 Years a Slave, dans lequel Steve McQueen raconte la vie d’un musicien new-yorkais de race noire qui, vers 1850, a été enlevé puis vendu comme esclave à un planteur louisianais ; puis Dallas Buyers Club, incursion par Jean-Marc Vallée dans le Texas des années 1980, sur les pas d’un sidéen homophobe qui a ébranlé l’establishment pharmaceutique et médical.

 

Pourquoi donc autant de films sur des héros de lumière ou d’ombre ? Je vous offre un choix de réponses :

 

a) la téléréalité a creusé l’appétit des spectateurs pour le fait vécu ;

 

b) dans un monde sans dieu ayant déjà épuisé toute la gamme des superhéros (Superman, Batman, Spider-Man, alouette), les spectateurs veulent qu’on leur propose des modèles héroïques à qui s’accrocher ;

 

c) le triomphe commercial de quelques films tels Argo, The Blind Side et The Social Network a incité les studios à commander le même plat jusqu’à l’indigestion ;

 

d) l’ensemble de ces réponses.

 

Personnellement, je mise sur c). Les cinématographies industrialisées cherchent toujours à reproduire ce qui marche. Parasitées par le virus de l’ambition commerçante jumelé à la curiosité voyeuse supposée (et chèrement entretenue) des spectateurs contemporains, la pensée et l’imagination s’essoufflent.

 

Notre Québec en pleine crise des valeurs n’y échappe pas. Alors que nos auteurs tentent un miroir au vrai Québec d’aujourd’hui (Incendies, Monsieur Lazhar, Nuit # 1, Vic + Flo ont vu un ours, Laurentie, etc.), l’industrie, par la voix de ses producteurs les mieux entendus dans les institutions, égrène le chapelet : Maurice Richard, André Mathieu (L’enfant prodige), Dédé Fortin (Dédé à travers les brumes), Gerry Boulet (Gerry), Robert Piché (Piché entre ciel et terre) et, plus proche de nous, Louis Cyr, plus grand succès commercial de l’année 2013. Ça ne semble pas près de s’arrêter.

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