La promesse oubliée
Dans une semaine, le gouverneur général David Johnston se pliera au rituel du discours du Trône, prêtant sa voix au texte du premier ministre Stephen Harper. Ce plan de match d’un gouvernement soucieux de sa réélection posera les jalons de son action pour les deux prochaines années. L’économie aura le haut du pavé, mais parmi les autres dossiers qu’il ne pourra passer sous silence figurera la question autochtone.
Le grand chef de l’Assemblée des Premières Nations, Shawn Atleo, s’y attend, mais il ne déborde pas d’optimisme. Il craint qu’une fois de plus, on se prépare à dicter aux autochtones la marche à suivre, en particulier en éducation. Avec cette approche « au mieux, paternaliste et, au pire, assimilationniste », a-t-il déclaré lundi en conférence de presse, alors qu’il soulignait le 250e anniversaire de la Proclamation royale du roi George III.
Le contexte de sa déclaration n’est pas fortuit. La Proclamation de 1763 promettait aux autochtones un avenir de loin meilleur à celui qu’ils ont connu. En vertu de ce document, quiconque voulait acheter ou occuper les immenses terres réservées aux « sauvages » devait obtenir l’assentiment de la Couronne, mais aussi des autochtones réunis en assemblée.
Ce n’est donc pas pour rien que le mouvement Idle No More a tenu à marquer à travers le pays un événement plus important aux yeux des autochtones que la guerre de 1812.
Lorsque les autochtones parlent d’une nouvelle relation avec la Couronne et le gouvernement, ils pensent à cette reconnaissance ancienne des nations aborigènes et de leurs droits. Ces principes ont servi de base à la conclusion de certains traités, mais ils ont rapidement été oubliés ou bafoués, rappelle tristement le chef Atleo. La liste des affronts est longue et je ne la referai pas ici, faute d’espace.
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En matière d’éducation, l’expérience traumatisante des pensionnats autochtones a laissé de profondes traces. Aujourd’hui, le sous-financement, le manque d’écoles, le faible taux de diplomation sont le lot d’un grand nombre de bandes. Le gouvernement Harper et les chefs autochtones ont décidé de faire de l’éducation leur priorité. Mais là comme ailleurs, les Premières Nations veulent être aux commandes, a rappelé le chef Atleo.
Elles ne veulent rien savoir d’être supervisées par le ministère des Affaires autochtones. Or, le projet de loi en la matière que concocte le gouvernement hérisse les leaders autochtones. Les discussions ont été rompues parce que les Premières Nations veulent concevoir et contrôler leur système d’éducation et avoir l’assurance que son financement sera juste, prévisible et durable.
L’éducation n’est qu’un exemple, car le rêve des Premières Nations est de reprendre le contrôle sur tous les aspects de leur vie. Les négociations territoriales ou de traités traînent cependant en longueur. Les bandes n’ont toujours pas les moyens d’assumer les responsabilités qu’on leur confie. Il manque de logements, d’écoles, d’installations sanitaires. Les gouvernements investissent, mais les budgets ne croissent pas au même rythme que la population.
Il y a bien eu des éclaircies depuis 40 ans. Une petite poignée de traités modernes ont été conclus, le premier au Québec avec la Convention de la baie James. Ces traités donnent aux autochtones le contrôle de leur destinée en ayant, entre autres, accès aux ressources et à leurs retombées. Mais on parle d’une minorité.
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Selon André Maltais, qui fut sous-ministre aux Affaires autochtones du Québec et négociateur fédéral en chef chargé des dossiers attikamek et innu, la solution pour les autochtones passe par cette capacité de contrôler leur vie, comme l’a démontré la Commission royale sur les peuples autochtones et comme l’envisageait la Proclamation royale.
M. Maltais a passé trente années plongé dans le dossier autochtone, un parcours qu’il raconte dans son livre Le réveil de l’aigle, paru cet été. Cette expérience l’a persuadé de la nécessité de mettre en place des gouvernements autochtones autonomes et d’adopter une politique de partage du territoire et des ressources afin de leur donner les moyens de faire leurs choix et de définir leurs solutions. Le refus de certaines provinces et du gouvernement fédéral d’envisager le partage des ressources est un des noeuds du problème, dit-il.
Résoudre ces enjeux complexes ne se fera pas en un tour de main, reconnaît-il. Il faudra des années pour y arriver, mais il faut, pour démarrer, une volonté politique à toute épreuve et cesser de s’en remettre d’abord aux juristes. Il ne voit malheureusement pas cette volonté à l’oeuvre à Ottawa ou chez nombre de leaders autochtones qu’il trouve trop préoccupés par leurs propres intérêts.
« Il y a un problème de leadership des deux côtés », note-t-il, persuadé que le mouvement Idle No More trouve racine dans la frustration des femmes et des jeunes autochtones quant à ce vacuum. Il relève aussi la division au sein du leadership des Premières Nations, le manque de projet commun. Shawn Atleo a bien tendu la main aux gouvernements, mais ils ne lui ont pas rendu la politesse, déplore-t-il. Une occasion perdue. À quel prix ?