Repères - Je t’arrête et je te fouille
Il y a cinquante ans, Martin Luther King parlait de son « rêve » sur les marches du monument dédié à Abraham Lincoln à Washington. C’était un rêve de justice et d’égalité.
En 2013, pour bon nombre d’Américains à la peau foncée, la réalité quotidienne consiste à se faire le plus petit possible, à raser les murs, pour ne pas être interpellé par un agent de police zélé et pas très objectif ; pour ne pas être arrêté et fouillé sans raison valable, comme cela se produit très souvent.
Plusieurs Afro-Américains en ont gros sur le coeur à propos de ce qu’on appelle la politique du « Stop and Frisk » (littéralement, « arrête et fouille ») que suivent le service de police de New York (le NYPD) et les gardiens de la paix d’autres grandes villes des États-Unis.
Ce genre de harcèlement, qui se produit quand les agents prétendent avoir des raisons de soupçonner qu’un crime se prépare, a fait l’objet récemment de nombreux débats et d’un jugement à la suite d’un recours collectif.
En août, la juge fédérale Shira Scheindlin, du district sud de New York, a statué que les gestes des flics de la Grosse Pomme contrevenaient souvent à au moins deux articles de la Constitution, à savoir ceux qui protègent les Américains contre les saisies abusives et contre la discrimination raciale. Elle a parlé de « profilage racial indirect ». Dans son jugement, elle a ordonné à la police de changer ses méthodes et nommé une espèce de tuteur pour l’« accompagner » dans cette tâche.
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Des chiffres troublants ont été mentionnés dans le cadre du procès. Environ 200 000 personnes ont été interpellées et fouillées à New York en 2012. La vaste majorité (87 %) était des Afro-Américains ou des Latino-Américains. D’après les dossiers de la police, à peine un « suspect » sur douze a été accusé d’un crime dans le cadre de ces contrôles à l’improviste.
Dans la foulée du procès, le conseil municipal de la métropole américaine a adopté un règlement qui aide les citoyens à poursuivre la Ville si le NYPD les cible injustement.
Le maire Michael Bloomberg, qui termine son troisième mandat et qui n’en sollicite pas un autre, a porté plainte contre le conseil qu’il préside. Le premier magistrat affirme que cette assemblée a outrepassé ses pouvoirs.
Le règlement municipal en litige permet aux plaignants de poursuivre la Ville devant les tribunaux de l’État de New York pour forcer le NYPD à changer ses façons de faire, mais pas pour obtenir des réparations financières. En outre, il étend par la notion de profilage l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle et le type de logement habité, en plus de la race.
Michael Bloomberg considère que ses policiers ne commettent pas d’abus. Il affirme que, si l’on entrave leur travail, les citoyens des quartiers défavorisés, dont les Noirs, seront moins bien protégés.
« Le Stop and Frisk est un vrai problème. Cette politique permet à des gens d’en harceler d’autres. Ça me rappelle les lois Jim Crow [règlements racistes en vigueur dans les États du Sud avant l’entrée en vigueur du Civil Rights Act en 1964] », s’est plaint LE1F, un rappeur new-yorkais interrogé par le magazine culturel Vice.
« Malheureusement, on ne voit pas de fouilles aléatoires sur Madison Avenue », observe Steve Fredman, un autre citoyen de la Grosse Pomme cité par Vice,qui rappelle que des crimes graves se commettent aussi dans le quartier des affaires.
Martin Luther King déclarait en 1963 : « Je rêve que mes petits-enfants vivent un jour dans un pays où ils ne seront pas jugés par la couleur de leur peau, mais par la qualité de leur caractère. »
Dans son fameux discours, il ne se faisait pas d’illusion sur le chemin à parcourir jusqu’à ce qu’on atteigne l’égalité de tous dans son pays.