Les Québécois sont du bon monde
Longtemps, on nous a fait croire que c’était une qualité dont nous avions raison d’être fiers. Toujours gentil, serviable, accueillant, il était souvent difficile d’identifier un citoyen québécois, car son choix, c’était de s’effacer le plus possible jusqu’à pratiquement devenir une carpette pour acheter la paix.
Il y a bien eu de petits sursauts, souvent sous forme de slogan : « Vivre chez-nous », « Demain nous appartient ». Mais, en général, on résume cet état de fait en disant que nous sommes un peuple qui n’aime pas la chicane. Loin de nous les grands débats, les prises de bec, les urgences qu’on balaie sous le tapis pour ne pas déranger des personnes qui pourraient avoir une autre opinion que la nôtre. Nous préférons même ne pas trop en savoir sur ce qui se passe ici (ou sur ce qui se passe ailleurs, en fait, car comme ça, on peut vivre sa vie en paix).
Christian Rioux posait une très bonne question dans ce même journal il y a quelques jours. Comment pouvons-nous vivre ce qui s’est passé à Mégantic récemment sans donner libre cours à notre colère ? Pourquoi sommes-nous là, polis, accueillants, quand tous les représentants du gouvernement fédéral se comportent comme les maîtres absolus d’une population québécoise souffrante, qui vide sagement ses maisons dans des petites boîtes et qui va enterrer tous ces êtres aimés profondément et qui ont brûlé dans le grand feu signé MMA et pour lequel personne ne veut admettre sa responsabilité devant la tragédie ? Les Québécois sont bien domptés, bien élevés, et si peu exigeants qu’on peut leur raconter n’importe quoi et qu’ils ne lèveront pas le ton.
Ma grand-mère Marie-Louise avait une opinion sur notre côté mou des Québécois, notre côté peureux qui nous condamne à prendre notre trou plutôt que de faire face à l’adversité ou à la provocation. Elle m’avait expliqué un jour que dans la religion catholique, on enseignait la soumission. Les curés enseignaient cela dans les sermons, et les autres religieux, dans les écoles. On disait : si quelqu’un te frappe la joue gauche, présente la joue droite… Présentait-on cette option comme une façon de gagner son ciel ? Je ne le sais pas, car Marie-Louise nous a enseigné tout autre chose.
Se peut-il que ce côté timoré que nous cultivons comme une qualité très spéciale soit le résultat des fortes doses de religion auxquelles nous avons été soumis sur une longue période de temps ? Je sais bien que de poser la question va faire rugir les croyants. Même d’en parler est mal vu.
À Mégantic, on a ouvert l’église. Si quelqu’un peut y trouver un peu d’apaisement, pourquoi pas ? Mais si c’est pour demander à Dieu - choisissez celui qui vous convient - de faire entendre raison à la MMA ou à Stephen Harper, qui ont tous les deux le pied sur le frein pour ne pas trop payer, pour ne pas trop admettre de responsabilité, pour ne pas régler le problème une fois pour toutes pour que des humains n’aient jamais à revivre ce qui est arrivé à Mégantic, un soir d’été qui aurait dû être sans histoire, mais qui est devenu une horreur pour tout un peuple…
Un vieux fond de religion
Le pire, c’est de savoir que la colère ne viendra pas. Parce que notre image de « ben bon monde » serait ternie par une explosion de colère, nous ne voulons même pas élever la voix. Reprendre la rue comme durant le printemps érable, rappeler au monde entier qu’il y a des survivants qui réclament justice, crier notre colère au lieu d’organiser des spectacles de chansons pour aider à rêver, ou pire, des spectacles d’humoristes pour qu’on soit morts de rire avant la fin de l’exercice. Il est évident que la colère est bien contrôlée. Par qui ? Et pourquoi ? Ça, c’est une autre histoire.
Personne ne peut nier que nous traînons au fond de nous un vieux fond de religion telle qu’on la prêchait il y a longtemps. Si nous étions en 1960, on nous expliquerait que l’horreur qui s’est produite à Mégantic venait de Dieu, qui avait certainement des comptes à régler avec les habitants de cette petite ville. Dans SA colère, IL aurait crié vengeance ? Sûrement pour effacer les péchés du monde.
L’horreur de Mégantic venait de la MMA et du gouvernement fédéral, qui ont négligé la sécurité des citoyens en échange de profits considérables. Le pétrole et son transport ont fait de la terre une bombe qui finira par nous sauter en pleine face à moins que nous ayons tous été empoisonnés par les émanations et la pollution de notre petite planète, dont on disait qu’elle était un jardin. Nous avons choisi de regarder en l’air pour ne rien voir de ce qui se passait autour de nous… Le prix à payer continue à monter.
La colère n’a pas dit son dernier mot. Mais quand elle parlera, il sera sans doute trop tard.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.