Les religions et les femmes - Un appel à lutter contre les inégalités sexuelles

Les chefs religieux actuels sont responsables du traitement inférieur encore fait aux femmes dans leurs communautés et de la violence envers elles que cette discrimination cautionne dans le monde. À l’invitation de l’ex-président américain Jimmy Carter, soixante leaders de confessions, de défense des droits et d’experts venus de quinze pays pressent les religions de réviser les interprétations fautives des écritures sacrées et de faire cause commune avec les autres organisations vouées à la lutte pour l’égalité et la dignité de tous.
Cette déclaration clôture un forum tenu du 27 au 29 juin, au Carter Center, relativement à la violence faite aux femmes, à la part des religions dans les discriminations à leur endroit et à l’urgence de mobiliser religions et autres croyances dans l’avancement de l’égalité entre les femmes et les hommes. Fondé en 1982 par l’ex-président et son épouse, Rosalynn (en partenariat avec l’université Emory), ce centre fait la promotion de la paix et de la santé dans plus de soixante-dix pays.
Les « droits de l’homme », rappelle ce forum, viennent des philosophes des Lumières et de leur conception séculière de la protection des personnes et de leur dignité. L’idée même de droit trouve cependant son origine dans plusieurs des écritures sacrées et des traditions religieuses. Elles ont donné à la dignité humaine un fondement et créé l’obligation morale de la protéger. Par contre, des interprétations et des applications masculines en ont été tirées qui ont mené aux idées et aux pratiques « justifiant » la ségrégation et l’oppression.
La discrimination des femmes résulterait, suivant cette analyse, de l’accaparement par les hommes de l’autorité sur les religions, du pouvoir d’en interpréter les écritures et d’en tirer les règles pour la vie quotidienne des fidèles. Cette exclusion ne serait pas seulement une perte pour les communautés de foi, mais aussi pour les sociétés où l’inégalité, la violence et l’injustice frappent encore si largement les femmes, même dans des pays démocratiques reconnaissant leurs droits.
Alors qu’après la Seconde Guerre les nations misaient, avec la création de l’ONU, sur l’avance des droits et de la paix comme normes mondiales, constate le forum, les progrès acquis n’ont pas empêché la violence d’être vue de plus en plus comme légitime : « la guerre a trop souvent pris la place du dialogue comme moyen de règlement des conflits ». Et des sociétés recourent souvent à des formes violentes de punition du crime plutôt qu’« à la réhabilitation et à la compassion ».
Et pendant que des sociétés et des groupes apeurés par les conflits se replient sur eux-mêmes, retournent à un passé idéalisé et durcissent des normes et des interprétations textuelles conservatrices, le sort fait aux femmes et aux filles n’a jamais été si déplorable à travers le monde, notamment quant à l’accès aux soins de santé (conception, grossesse à risque, maladie, mort précoce) ou à l’éducation. Or, la peur fait éviter les concertations entre religions et « contrecarre les progrès ».
La déclaration reprend les constats officiels sur le trafic d’êtres humains, notamment sur l’esclavage sexuel, qui touche des millions de femmes, de filles et d’enfants, sur la « féminisation » de la pauvreté, les mariages précoces. On ne manque pas non plus d’inclure au bilan l’exclusion encore répandue des femmes des postes de leadership, dans les religions, mais aussi en politique et en d’autres institutions publiques. Autant de facteurs, croit-on, qui mènent à la marginalisation des femmes et à leur « subjugation ».
Non seulement la déclaration note le « silence » des leaders dans les communautés où les femmes et les filles sont laissées sans protection efficace contre la violence ou l’inégalité dans la famille et la société, mais elle ajoute - sans toutefois citer de pays ou de situations spécifiques - que, souvent, au lieu d’user de leur influence pour changer les choses, ils donnent même leur appui à des normes légales, sociales ou culturelles inadéquates.
Néanmoins, les régimes fondamentalistes ont droit à une mention spéciale. « Dans les pays où la religion est une source des lois et des politiques publiques, les interprétations particulières des textes sacrés peuvent mener à des règles discriminatoires et injustes qui sont présentées comme loi divine, infaillible et inchangeable ; les efforts des femmes en faveur de réformes pour maintenir l’égalité et la justice sont démonisés comme une attaque à l’endroit de la religion ou du texte sacré lui-même. »
On devine sans peine la difficulté de mobiliser les religions contre des injustices qui mettent en cause le pouvoir masculin en place et des écrits et traditions bénéficiant d’une origine « divine » et de l’épreuve des siècles. Quelle religion voudrait s’allier à un mouvement féministe qui la conteste jusque dans sa culture et ses institutions ? Par contre, en tenant les religions comme une source de discrimination, les organisations prônant l’égalité ne se privent-elles pas d’un appui capital ?
L’appel du 29 juin s’adresse à deux catégories de croyants. « Les hommes en particulier ont un devoir moral de prévenir et de combattre toutes les formes de violence, car ils portent l’essentiel de la responsabilité pour ces actes. » Quant aux autorités religieuses, leur responsabilité est double. Elles doivent orienter la vie spirituelle et sociale de leurs communautés « vers la promesse universelle des droits humains, des devoirs, et de la dignité humaine ». Et porter « attention aux traditions et aux textes » qui les aideront dans cette tâche.
Les religions en quête de pertinence peuvent-elles avoir plus forte vocation ?