Théâtre - Pour une saine discussion

Il y a quelques semaines, le Conseil québécois du théâtre (CQT) annonçait la tenue de tables rondes portant sur les successions à la direction des compagnies théâtrales. Rappelons qu’en mars dernier, une première discussion publique organisée par l’Association des compagnies de théâtre (ACT) avait réuni au Théâtre d’Aujourd’hui quelques centaines d’intervenants préoccupés par la situation actuelle ; j’avais alors tenté, en deux textes, de résumer un peu cet enjeu fort complexe.


L’actuel malaise au sein du milieu théâtral serait provoqué par une crise de croissance : les fonds publics alloués au théâtre et à la culture en général stagnent depuis de nombreuses années alors que le nombre de compagnies ne cesse d’augmenter. Certains prônent une révision massive du modèle d’attribution des subsides et une redistribution des sommes disponibles, alors que d’autres insistent sur l’importance de maintenir les acquis historiques tout en continuant de revendiquer plus de fonds pour tous.


Pour l’instant, le CQT refuse de prendre position et se propose plutôt de recueillir et de diffuser informations et réflexions sur le sujet. L’organisme a choisi de faire de la succession le principal thème de son prochain colloque, qui aura lieu le 4 novembre.

 

Une «crise morale»


Un groupe d’artistes et de travailleurs culturels a tenu récemment à faire part de ses inquiétudes en interpellant directement les trois paliers de gouvernement, notamment par le biais d’une lettre ouverte intitulée Une crise morale au sein du milieu théâtral québécois. Rédigé conjointement par les metteurs en scène et directeurs artistiques Olivier Choinière, Brigitte Haentjens, Olivier Kemeid, Francis Monty et Catherine Vidal ainsi que par les directeurs administratifs Robert Gagné et David Lavoie, le document de neuf pages dénonce entre autres le fait que « la pression exercée par les conseils des arts pour que les compagnies se conforment à un modèle d’affaires de type PME est de plus en plus forte, obligeant des compagnies dans l’indigence demettre toujours plus de ressources en administration plutôt qu’en création ».


Les auteurs de ce texte opposent également les effets structurants des mesures résultant des premiers États généraux du théâtre professionnel de 1981 au « consensus mou » auquel aurait abouti en 2007 la seconde édition de cette vaste consultation, où le milieu théâtral aurait alors selon eux « choisi le statu quo plutôt que la remise en question ». Parmi les problèmes ignorés à cette occasion figurerait la précarité des compagnies fondées après 1990, à qui l’horizon des subventions pluriannuelles au fonctionnement semble définitivement bouché, à quelques rares exceptions près.


Voilà pourquoi plusieurs acteurs du milieu souhaitent que soient discutés publiquement les processus de transmission par lesquels des artistes, au moment de la retraite, lèguent leurs compagnies - et leurs subventions - à des plus jeunes : « Pourquoi, alors que des créateurs talentueux peinent depuis 15 ans à solidifier le développement de leur compagnie, de nouveaux venus hériteraient-ils de “structures toutes faites” et largement financées sans que cela soit questionné ? » Si plusieurs arguments fort valables sont avancés dans ce document, disponible à la lecture via le site Internet du CQT, présenter le processus de transmission d’une structure comme relevant essentiellement d’une logique corporatiste s’avère par contre assez réducteur.

 

Des modèles à repenser


Dans un texte récent publié dans nos pages (Nuages noirs sur la culture, 24 avril), l’auteur, comédien et professeur Gilbert Turp déplorait avec justesse le fait que « l’on réinvente les mêmes modes de production chaque décennie, avec les mêmes résultats. Les générations changent, mais les conditions de la pratique artistique ne changent pas. On épuise la seule ressource renouvelable que l’on a : la ressource humaine. » Il est à espérer que l’invitation lancée par le CQT à la communauté théâtrale donnera lieu à une saine discussion d’où découleront des pistes intéressantes pour repenser des modèles de fonctionnement et de financement qui offriraient plus de souplesse tout en favorisant le développement de l’art théâtral au Québec.


On devrait pouvoir lire cet automne les résultats de la vaste enquête qu’a mené auprès de ses membres l’association Théâtres Unis Enfance Jeunesse sur la question de la succession, ainsi qu’un rapport universitaire intitulé La succession aux postes de direction générale et artistique dans les OBNL du Québec auquel travaille actuellement le Groupe de recherche sur les OBNL communautaires ou culturels, affilié à HEC Montréal.


D’ici là, quelques semaines de repos s’imposent. Je vous retrouverai en août avec grand plaisir ; bon été à tous et à toutes.

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