Espoir au Japon
Et si la sortie de la crise européenne passait par la voie japonaise ? Depuis quelques mois, le gouvernement du « vieux-nouveau » premier ministre Shinzo Abe essaie de secouer la cage dans laquelle est enfermé le Japon depuis deux décennies. La cage de la stagnation et de la déflation, dans un pays vieillissant, que l’on dit déclinant, même s’il reste l’un des plus riches du monde, encore capable d’inventer des voitures et des appareils photo qui se vendent sur les cinq continents (... sans compter les toilettes et les salles de bains les plus follement « technologiques » qui soient !).
Exemple de cette richesse… Au cours des vingt-cinq dernières années, la Chine a multiplié son PIB par 43, suscitant partout des oh ! et les ah ! admiratifs ou craintifs. Pendant le même quart de siècle, celui du Japon a globalement stagné… Mais en 2013, le Japon reste quatre fois plus riche que la Chine, tout juste derrière les États-Unis et le Canada pour son PIB par habitant.
Le déclin et la « décadence » nippons sont des choses très relatives, au sujet desquelles on entend beaucoup de simplifications. Mais ce pays - qui inspirait, il y a vingt-cinq ans, les mêmes hyperboles que la Chine aujourd’hui («Ils vont nous acheter! Ils vont nous envahir!») - est bel et bien prisonnier depuis les années 1990 d’une forme de stagnation unique et mal connue ici : la déflation. Les prix baissent régulièrement de 1 % par an ; tout le monde garde son argent sous son lit ; personne n’investit… à des taux d’intérêt négatifs.
Un enlisement réel, même s’il cohabite avec un niveau de vie resté très élevé… qui rend la « misère » japonaise tout de même supportable.
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Lorsqu’il a repris le pouvoir en décembre 2012, à la tête d’un parti usé (le Parti libéral-démocrate, qui cache derrière son nom un conservatisme foncier, ainsi qu’un stade avancé de corruption et d’ossification), peu de gens croyaient que Shinzo Abe, héritier d’une vieille famille politicienne, ancien premier ministre lui-même, pourrait réinventer la politique et l’économie, et donner enfin au Japon l’électrochoc dont il avait besoin.
Pourtant, c’est ce qui semble en train de se produire.
Avec son complice Kuroda Haruhiko, le nouveau gouverneur de la Banque centrale du Japon, M. Abe a sorti le bazooka et pulvérisé un certain nombre de tabous de la politique macroéconomique des États : l’indépendance totale de la banque centrale (les deux partagent la même vision qu’ils appliquent de concert, sans vergogne) ; la peur paralysante de l’inflation, réelle ou virtuelle, actuelle ou à venir (ridicule dans le contexte japonais - Shinzo Abe a dit : « Donnez-moi de l’inflation ! 2 % au moins ! ») ; la retenue dans l’émission de monnaie (ils auront imprimé, en 2013 et 2014, quelque chose comme 1500 milliards de dollars en nouveaux yens) ; l’obsession de la dette publique (qui dépasse les 230 % du PIB… mais qui est détenue à 95 % par des Japonais, institutions ou individus, donc de l’argent qu’ils se doivent à eux-mêmes).
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Il est encore trop tôt pour dire si ce « nouveau cours » politico-économique saura durablement remettre le Japon sur les rails. S’il y a là, pour le XXIe siècle, un modèle de relance par l’intervention massive de l’État. Mais les premiers mois de 2013 sont encourageants : une reprise au taux annuel de 3,5 % ; un chômage à la baisse (4,1 %) ; une consommation et des exportations qui décollent… et, entend-on à Ginza (coeur commercial de Tokyo) un petit début de frémissement sur les prix. Tout cela avec une Bourse euphorique (le Nikkei à +70 % depuis novembre) et une devise super dévaluée passée en six mois de 75 à 100 yens pour un dollar canadien !
Tous ces beaux chiffres ne répondent pas aux questions fondamentales que se pose la société japonaise, en éclaireur du monde développé : comment vivre avec une société vieillissante ? Quelles énergies nouvelles dans un pays demain post-nucléaire ? Quelle consommation lorsqu’on a déjà tous les gadgets ?
L’Europe, qui économiquement fait exactement le contraire de Shinzo Abe, avec une austérité dogmatique qui tue la relance, et la déflation qui se profile à l’horizon, ferait bien de jeter un coup d’oeil sur l’expérience nippone. Car elle est un test crucial de la capacité des États, au XXIe siècle, d’agir face à la cruauté du capitalisme mondialisé.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.