Médias - Sans gré ni force

Pour un pragmatique, les idées ou plutôt les idéaux n’existent pas dans l’absolu. Les contradictions idéales ou morales ne l’embêtent pas. Le pragmatique peut dire oui un jour et non le lendemain. Le pragmatique est pour et contre au gré de ses intérêts. Il ne croit en rien, sauf aux résultats concrets, aux avantages sonnants et trébuchants.

Québecor demeure une entreprise extrêmement pragmatique. Ou alors ses dirigeants le sont, ce qui revient au même.


Québecor peut donc donner et prendre en même temps, dire noir ou blanc en fonction des circonstances et de ses intérêts. Ainsi, au Canada anglais, l’empire médiatique attise le patriotisme à la canadienne tandis qu’au Québec il relaye des chroniques nationalistes qui soufflent sur les braises identitaires à la québécoise.


C’est un peu comme si le même citoyen votait coup sur coup pour un parti fédéraliste à Ottawa et un parti souverainiste (ou faut-il dire indépendantiste ?) à Québec. Finalement, Québecor est bien comme le Québec et puis voilà.


L’insolente antinomie s’est encore exposée dans toute sa splendeur réaliste la semaine dernière aux audiences du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Québecor, qui témoignait mardi devant le gardien des ondes, a réclamé que tous les clients des services de base soient abonnés d’office à sa chaîne d’information continue Sun News Network. Idéologiquement, c’est à peu près aussi paradoxal que si des carrés rouges militaient soudainement pour une forte hausse des droits de scolarité.


L’audacieuse requête découle de l’échec commercial de Sun News. L’an dernier, le réseau aurait perdu plus de 17 millions de dollars. Pourquoi ? Tout simplement parce que la très grande majorité des téléspectateurs ne veut pas de cette télé gueularde de droite, mais aussi parce que la distribution ne permet pour l’instant d’atteindre qu’environ 40 % des ménages du pays. Même le câblodistributeur Vidéotron, une autre filiale de Québecor ne l’offre pas en service de base à ses propres abonnés !


Idéologues du marché


La chaîne n’emploie que des idéologues du marché. Ces animateurs de droite ont passé les deux dernières années à ridiculiser les subventions aux artistes tout en reprochant à Radio-Canada/CBC d’être des porte-étendards d’un État interventionniste et propagandiste. Maintenant, les mêmes chiens de garde autoproclamé du débat et de la liberté de conscience intoxiquent les ondes en aboyant dogmatiquement les demandes d’interventions étatiques de leurs maîtres.


Le patron du CRTC, Jean-Pierre Blais, réputé pro-consommateur, n’a pas semblé très réceptif à la solution effrontée. Le président a notamment souligné l’incongruité de la demande d’abonnement obligatoire alors que les réseaux peuvent offrir mondialement leurs contenus sur le Web.


« Pourquoi devrait-on retourner en arrière ? », a-t-il demandé. De même, le mois dernier, M. Blais a averti les producteurs de la télé et du cinéma réunis en congrès annuel qu’ils devraient eux aussi « entrer en compétition entre eux, comme dans n’importe quel autre secteur ».


La bonne vieille loi capitaliste du marché pourrait aussi s’appliquer aux autres chaînes qui demandent à bénéficier des largesses du Conseil en passant par nos poches. The Canadian Movie, par exemple, veut forcer l’abonnement à son réseau qui ne diffuserait que des films canadiens à un public qui n’en veut pas en salle, on ne se contera pas trop d’histoire. Ses promoteurs, dont le comédien Paul Gross, ont expliqué sans rire que les profits serviraient en bonne partie à produire d’autres films, que les citoyens pourvoyeurs seraient donc forcés de voir au petit écran alors qu’ils les boudent au grand.


Les Canadiens payent déjà en moyenne plus de 180 $ par mois pour les services de télécommunications. Le téléphone mobile, Internet et la télé sont scandaleusement trop chers au pays. En plus, ces dépenses gonflent constamment, à plus du double de l’inflation entre 2007 et 2011. Les compagnies de télécommunications du pays, dont Québecor, empochent maintenant des revenus d’environ 60 milliards par année.


Les opposants aux demandes des réseaux se prononceront cette semaine devant le Conseil. Les décisions suivront dans les prochains mois. Une perspective pragmatique de consommateurs encouragerait tout simplement à forcer les distributeurs de signaux à abandonner totalement l’abonnement obligatoire. Les câblos ou les compagnies satellitaires devraient relayer tous les signaux et systématiser l’abonnement à la carte. Ce qui vaut pour Sun News vaut pour tous les réseaux, de manière simple et pragmatique : on ne devrait pas payer si on n’en veut pas, un point c’est tout.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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