Théâtre - Les inquiétudes du printemps

S’appuyant sur des chiffres fournis par l’Observatoire de la culture et des communications du Québec, le Conseil québécois du théâtre (CQT) tirait récemment la sonnette d’alarme devant une baisse jugée significative de l’indice de fréquentation des arts de la scène et un soutien trop timide des pouvoirs publics envers les initiatives visant à renouveler un public qui prend de l’âge.


Par la voix de sa présidente, Dominique Leduc, le CQT souhaitait interpeller le gouvernement, mais aussi rendre compte de la réflexion continue que mène le milieu théâtral sur le sujet. Développer de nouvelles approches s’impose, notamment à une époque où le système d’abonnements, l’une des assises principales de l’économie théâtrale au Québec, correspondrait de moins en moins aux options de fréquentation privilégiées par les générations plus jeunes.


Sur le pont du navire amiral


Comment cette situation influe-t-elle sur ce qui se passe sur le pont et dans les cales du navire amiral autoproclamé du théâtre québécois, le Théâtre du Nouveau Monde ? Lundi dernier, lors du dévoilement des productions qui jalonneront la 63e année d’existence de la compagnie, quelques journalistes n’ont pas manqué de poser la question à l’infatigable Lorraine Pintal, qui tient la barre de l’institution depuis plus de 20 ans.


Malgré son enthousiasme légendaire et son indéfectible optimisme, celle qui, à titre de directrice artistique et générale, a su redresser une compagnie qui affichait un important déficit budgétaire au début des années 1990 n’a pas manqué de confirmer que les temps étaient durs pour tout le monde. « Je suis positive, mais je vois les dangers qui guettent le TNM, aurait-elle confié à Luc Boulanger de La Presse. Et il y aura plus de coproductions, plus de compromis artistiques, plus de divertissements… »


Triste augure, en vérité. Mais là où je n’ai pas manqué de m’étouffer avec ma bouchée de scone la semaine dernière, c’est en lisant que certains des choix effectués en prévision de la saison prochaine misaient sur la fusion actuelle des arts vivants pour tenter d’attirer un public plus jeune tout en rendant compte de l’évolution de notre société. Voilà qui sonne à la fois sensé et audacieux, du moins tant qu’on n’a pas pris connaissance de la nature desdits essais de décloisonnement proposés.


L’avenir du théâtre ou celui du spectacle?


Difficile, à l’annonce de la collaboration prochaine du Nouveau Monde avec la compagnie Les 7 doigts de la main pour la création du Murmure du coquelicot, de ne pas songer à Nebbia, coproduction du Cirque Éloize et du Teatro Sunil qui avait ouvert - rien de moins - la saison 2008-2009 du TNM. Présenté comme du théâtre d’inspiration circassienne, l’objet s’était révélé être une suite d’impressionnants numéros cousus de manière relâchée sur une trame dramatique plus mince qu’une feuille de papier bible.


Emballé par l’annonce de l’entrée au TNM d’Olivier Kemeid, dramaturge que je tiens en haute estime, je ne peux que souhaiter que les mots de son Icare ne servent pas de simples enjolivures aux stupéfiantes images que ne manqueront pas de créer les magiciens de la projection numérique que sont Michel Lemieux et Victor Pilon, pères du stimulant Norman mais aussi du plus mièvre La belle et la bête, projet qu’avait quitté en cours de route le premier auteur-adaptateur pressenti, Sébastien Harrisson.


Comprenons-nous bien, j’irai voir ces deux oeuvres avec toute la bonne foi que l’ouverture critique prescrit ; ce sont moins les propositions artistiques que le discours qui les accompagne qui me fait ici grincer des dents. Ainsi, alors que des créateurs comme Denis Marleau, Marie Brassard, Dave St-Pierre, Jérémie Niel, Mélanie Demers et Alexandre Fecteau, pour ne nommer que ceux-là, viennent nous bousculer dans nos conceptions du théâtre, de la danse, de la performance et du cinéma, le TNM dit prendre acte de cette explosion en misant de son côté sur le spectaculaire, le magique et le féerique.


Évidemment, ce n’est pas le mandat premier du TNM que de proposer les plus décoiffantes tentatives d’hybridation des formes : quiconque souhaitera s’y confronter de plein fouet à Montréal fréquentera plutôt l’Usine C, le Théâtre La Chapelle, le Festival TransAmériques ou encore son officieux rejeton, l’OFFTA. Mais que l’on évoque une prise en compte de l’évolution interdisciplinaire du théâtre contemporain pour justifier des choix de métissage qui reposent essentiellement sur les prouesses techniques, l’illusion et la fantaisie, voilà qui laisse songeur, pour ne pas dire inquiet, quant à la teneur de la réflexion que l’on mène sur l’art théâtral entre les murs de l’ancienne Comédie-Canadienne.

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