Le crime de Frédéric Bastien
On n’a encore trouvé personne pour éditer la version anglaise de l’ouvrage-choc sur le rapatriement de la Constitution que vient de publier l’historien Frédéric Bastien, mais le Canada anglais étant libéré depuis longtemps de tout obscurantisme, ce ne saurait être qu’une question de temps. Chez Boréal, on reconnaît néanmoins avoir eu du mal à susciter l’intérêt des médias du ROC, qui n’ont fait mention du livre qu’en raison de la réaction de la Cour suprême.
Il est vrai que M. Bastien vient de commettre un véritable crime de lèse-nation. Si le Québec rumine cette défaite depuis trente ans, l’enchâssement de la Charte des droits dans la Constitution de 1982 est perçu dans le reste du pays comme l’acte de fondation du Canada moderne, et l’ancien juge en chef de la Cour suprême, Bora Laskin, y fait figure de héros.
Parler d’un « dialogue » entre l’exécutif et le judiciaire, comme l’ont fait ses admirateurs, est cependant bien plus qu’un euphémisme. En informant en temps réel les gouvernements canadien et britannique du contenu de délibérations qui auraient dû demeurer confidentielles, M. Laskin a joué un rôle de premier plan dans la stratégie du gouvernement Trudeau. D’ailleurs, il n’était pas le seul à parler de façon inconsidérée. M. Bastien a découvert que son collègue Bud Estey avait également fait des confidences au haut-commissaire britannique à Ottawa, John Ford, qui en était venu à la conclusion qu’un véritable « coup d’État » était en préparation.
On pourra conjecturer ad nauseam sur la façon dont les choses auraient pu tourner si cette collusion entre l’exécutif et le judiciaire avait été découverte à l’époque, mais on ne refera pas l’histoire, peu importent les résultats de l’enquête interne que fera la Cour suprême et ce qu’on pourrait découvrir dans les documents qui demeurent encore cachés. Tout n’est cependant pas effacé pour autant. Si la plupart des acteurs de 1982 sont décédés ou retraités, le passé peut venir hanter leurs successeurs, plus encore à Québec qu’à Ottawa, où Justin Trudeau devra bien finir par dire quelque chose.
Pour le PQ, qui ne savait plus à quel saint se vouer pour raviver la flamme souverainiste, ce rappel de l’arnaque dont le Québec a été victime est une véritable aubaine. Après s’être imprudemment aventuré sur le terrain miné de la Constitution, Philippe Couillard avait entrepris de retraiter, mais il devient soudainement plus gênant de revenir au refrain des raisins trop verts. Même Jean-Marc Fournier a semblé troublé par les révélations de Frédéric Bastien. C’est dire !
Encore une fois, François Legault a été désespérément égal à lui-même. « Ça change quoi demain matin, ici au Québec ? », a demandé le chef de la CAQ. Misère !