Les bons gars
C’est bientôt la fête de « la » femme, comme disent ceux qui n’y voit que du feu (ou des filles en sous-vêtements), alors parlons de l’homme, pour ne pas faire de jaloux. Parlons de cette manie masculine de toujours se croire à la hauteur des plus périlleuses entreprises. Ce qui, encore aujourd’hui, manque cruellement aux femelles de l’espèce ; mais ne nous égarons pas. Parlons plutôt des deux Marc. L’Éminent Marc Ouellet d’abord, celui qui, malgré ses protestations, ne mordrait sûrement pas l’index céleste, advenant sa désignation comme prochain pape ; et celui qui se croit capable de redorer le blason du Parti libéral du Canada, Marc « j’ai l’étoffe d’un chef » Garneau.
J’essaie d’en rire, vous comprendrez, pour ne pas en pleurer. Des hommes qui ne sont pas vraiment à leur place, qui laissent à désirer intellectuellement, sinon moralement, il y en a plein nos conseils d’administration, non ? Pourquoi s’en faire pour un ou deux de plus ? Il y a un vieux principe, celui d’un dénommé Peter, qui dit : « Tout employé tend à s’élever à son niveau d’incompétence. » Admettez qu’on a ici deux bons exemples. Difficile quand même de ne pas ressentir une petite gêne (à leur place) à constater le décalage entre les hommes ici présents et la tâche qui pourrait les attendre.
Justin Trudeau n’est guère mieux, protestez-vous. Il y a ici un autre exemple de torse bombé, c’est vrai, sans grandes idées derrière. À quelques semaines de l’élection du nouveau chef, il est évident que le candidat-vedette ne sait pas vraiment comment « réinventer » le natural governing party of Canada. Mais il sait comment attirer des jeunes et renflouer les coffres du parti, par contre. Il s’agit quand bien même d’un exploit.
C’est d’ailleurs ce qui contribue à ridiculiser davantage Marc Garneau. Il dit vouloir miser sur la jeunesse, mais ne semble pas bien percevoir ce que son rival est en train de réaliser par ses talents de G.O. (gentil organisateur) et les médias sociaux. Surtout, l’ancien astronaute ne voit pas l’absurde de s’attaquer à la « coquille vide » de son adversaire alors que lui-même n’offre que des idées convenues (miser sur l’économie, le savoir informatique, ignorer les chicanes constitutionnelles… on dirait François Legault, en moins fringant). Ce n’est pas parce qu’on a vu Sault-Sainte-Marie de l’espace qu’on est nécessairement en mesure de saisir la nature du pays, ou celle du parti politique qui prétend le représenter.
Le cardinal venu du froid, maintenant. Remarquez qu’il s’agit d’un autre « bon gars ». Marc Garneau aime passer l’aspirateur et Marc Ouellet, lui, parle à sa mère souvent au téléphone. Autrement, notre Benoît XVI redux n’a pas montré beaucoup de compassion pour les femmes. On connaît sa position sur l’avortement : à proscrire même en cas de viol. On est au courant aussi de son leadership contesté à la tête de l’Église québécoise. Et on vient d’apprendre qu’il a tendance, comme son mentor le pape, à vouloir dissimuler les cas de sévices sexuels commis par des prêtres. Sa bonhomie cache, en fait, un aspect beaucoup plus conservateur, celui-là même qui l’a mené jusqu’à la Curie romaine, l’endroit que le théologien Hans Küng, ancien compagnon de route de l’actuel Saint-Père, qualifie d’obstacle majeur à une réforme en profondeur de l’Église catholique.
« Sous sa forme actuelle, écrit Küng, la Curie procède comme au Moyen Âge, refusant toute compréhension oecuménique des autres Églises chrétiennes et toute attitude constructive envers le monde moderne. »
Autrement dit, si l’Église catholique était une multinationale, plusieurs de ses dirigeants seraient devant les tribunaux pour abus de confiance et agressions sexuelles, et la compagnie serait en faillite. Le septennat de Benoît XVI a vu une des plus grandes saignées de fidèles dans l’histoire de l’Église. Il n’y a qu’au sein de l’Église qu’on ignore le pathétisme d’une institution qui condamne vertement ce qu’elle a érigé en dogme pour elle-même : l’homosexualité. Tous ces hommes en robe accompagnés de jeunes séminaristes, l’actuel pape qui prendra sa retraite en compagnie de son secrétaire particulier, le dénommé Gorgeous Georg (Gänswein), on dit qu’il ressemble à George Clooney, pour ne rien dire du rejet catégorique des femmes au sein de l’Église.
La bonne nouvelle ? La démission « révolutionnaire » de Benoît XVI, du jamais vu en 600 ans, pourrait forcer l’Église à se comporter davantage comme une entreprise, c’est-à-dire avec obligations et comptes à rendre. On pourrait dorénavant montrer la porte à un pape qui ne ferait pas l’affaire, croient certains analystes. Serait-ce le début de la fin d’un régime qui a assez duré ?…
En attendant, prions que le cardinal Ouellet ne soit pas élu pape. Le monde mérite mieux qu’un autre soi-disant bon gars à la tête d’une Église qui a un criant besoin de réformes, et de femmes.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.