En aparté - Entendre Serge Bouchard

À la radio, Serge Bouchard est formidable. Il est tout à fait unique. Mais à l’écrit, croyez-moi, il est encore mieux. Des ethnologues-poètes, nous n’en avons pas beaucoup.
Photo: Marie-Christine Lévesque À la radio, Serge Bouchard est formidable. Il est tout à fait unique. Mais à l’écrit, croyez-moi, il est encore mieux. Des ethnologues-poètes, nous n’en avons pas beaucoup.

Serge Bouchard dit que sa voix endort. Il l’écrit et il le dit. Moi, il ne m’endort pas du tout, Serge Bouchard. Au contraire. Sa voix me fait plutôt songer avec bonheur à celle, chaude et riche, de Garrison Keillor, l’animateur de Prairie Home Companion, la mythique émission diffusée à la radio publique américaine. Remarquez qu’on a souvent dit aussi de cette voix-là qu’elle était soporifique. Question de musicalité pour les oreilles ou simple affaire de capacité d’écoute ?


Ceux qui disent cogner des clous devant les propos de ces deux-là, je les soupçonne d’être au préalable bien assommés par le monde waltdysnéifié qui nous entoure.


Plus que Keillor encore, Bouchard parle de la vie ordinaire, du monde où nous sommes, du territoire et des gens qui l’habitent, des profondeurs d’un pays qu’on connaît moins que les plages du Sud. Des propos qui s’accordent mal aux tapages publicitaires de toutes nos lucioles qui se croient lucides.


J’aime Serge Bouchard. Je l’aime même beaucoup. D’abord parce qu’il écrit encore mieux qu’il parle. Ces jours-ci, je me replonge avec plaisir dans ses textes.


Vient de paraître en format de poche son dernier recueil, C’était au temps des mammouths laineux. Jetez-vous là-dessus. Mais jetez-vous-y doucement, si j’ose dire. Les sujets qu’il y aborde invitent à la patience : les épinettes noires, la forêt blanche, les autochtones, le Nord, la vie sur les routes d’Amérique, la mort de sa femme, le destin de héros oubliés, la mémoire de ce que nous sommes, de ce que nous aurions pu être.


J’aime Serge Bouchard. Mais je dois dire aussi qu’il m’énerve parfois. Tenez, l’été dernier. Je roule sur l’autoroute. Entre deux cahots, j’écoute Serge Bouchard. Il est question du vent. Du vent de son enfance. Du vent qui souffle. Du vent qui vente, là, dans l’est de Montréal. Du vent des moulins qui n’existent plus. Ses histoires de vent trainent et me gonflent. Elles m’énervent d’autant plus que je sais pertinemment que Bouchard peut passer encore une heure à brasser de l’air ainsi et que je resterai là à l’écouter encore…


Sur la route, à moins de vouloir se faire la violence d’écouter des radios d’opinions qui vont et qui viennent, on en revient toujours aux Chemins de travers de Serge Bouchard.


Dans un monde qui n’a plus le temps pour rien, c’est bien sûr un crime que de l’entendre parfois s’écouter un peu et allonger la sauce. Ce criminel se déploie comme un chat sauvage dérangé dans sa sieste. Il fait le dos rond. Il tourne autour de son sujet tandis que ses auditeurs doivent patienter avant qu’il daigne faire parler ses invités. On l’attend parfois ainsi un peu trop, mais on sait au moins qu’il finit toujours par bondir sur son sujet et par le prendre à bras-le-corps, pour notre plus grand plaisir.


À la radio, Serge Bouchard est formidable. Il est tout à fait unique. Mais à l’écrit, croyez-moi, il est encore mieux. Des ethnologues-poètes, nous n’en avons pas beaucoup. Voilà bel et bien un trésor qu’il convient de se partager entre nous. Jetez-vous sur ses livres, vous dis-je...


***


Adieu le pape!


Alors que nous sommes assaillis par les images de cet homme supposé infaillible, pourquoi ai-je envie de relire Voltaire au moins autant que Serge Bouchard ?


Côté pape et papesse, ce mécréant de Voltaire portait une affection toute particulière à la dynastie des Borgia.


Les Borgia ont fourni à la chrétienté quelques empoisonneurs ainsi que deux papes. Ce n’est pas rien comme matière pour un écrivain. Évidemment, les mauvaises langues diront que Voltaire n’avait pas pu connaître la famille Johnson qui, elle, fournit trois premiers ministres au Québec en moins de quarante ans. Ce qui n’est pas rien non plus. Mais ne dévions pas de notre sujet.


Donc Voltaire aimait beaucoup parler des Borgia. Il en parle notamment dans son amusant Dictionnaire philosophique. De Lucrèce et de Rodrigo en particulier.


Rodrigo devint pape en 1492, comme chacun le sait, sous le nom d’Alexandre VI. Lucrèce était sa fille.


Voltaire parle de leurs orgies, de leurs crimes, de leurs forces autant que de leurs faiblesses.


Le lisant, on croit voir exposé le pire.


Qui pourrait bien croire que d’autres choses du genre ont pu se produire depuis à l’ombre du Vatican ? Que de mauvaises langues, sûrement.


Et qu’importe d’ailleurs puisque l’Église sait tout se pardonner.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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