Bureau de la liberté de la religion - Comment seront accueillies les minorités étrangères en danger?

Ce jeune mandarin fédéral, sous-diacre dans sa communauté catholique ukrainienne, est aussi un intellectuel favorable à la présence de la religion dans les affaires publiques. D’aucuns, sans plus d’enquête, voient en lui un autre de ces « fondamentalistes chrétiens » qui menacent le principe de la séparation entre l’Église et l’État. Le Parti conservateur, dit-on, n’est-il pas déjà « infiltré » par des zélotes qui s’emploient à mettre le Parlement et les fonds fédéraux au service de leurs croyances ?
Le Canada aura entre-temps « innové » en inscrivant dans la constitution du pays le pouvoir de suspendre plusieurs droits fondamentaux garantis par la Charte de 1982, dont « la liberté de conscience et de religion ». Si c’est là la « grande tradition » dont le Canada « donne l’exemple », selon le premier ministre, et reposant sur ce que Diefenbaker appelait « le caractère sacré de la personne », Ottawa devra relire la Charte canadienne des droits et libertés.
Dans son enseignement à l’Université de Montréal, une institution autrefois catholique, Pierre Elliott Trudeau, le père de la future Charte, raillait la « petite charte » de Diefenbaker, qu’une chambre avait adoptée et qu’une autre pourrait aussi facilement abolir. Il fallait une vraie charte enchâssée dans une constitution et mise ainsi à l’abri des dérives politiciennes. L’homme dut pourtant accepter dans la sienne une « exception » que tout régime liberticide serait fort heureux d’emprunter au Canada.
Avant d’instruire la Chine, l’Iran, l’Arabie saoudite et d’autres pays peu respectueux de la liberté de religion, l’ambassadeur Bennett devra s’assurer que les droits fondamentaux sont vraiment respectés au Canada. Il aura aussi fort à faire pour distinguer les minorités persécutées de celles qui sont associées à des discriminations, et dont certaines ne respectent pas toujours leurs propres membres. Mais le principal défi sera de porter vraiment secours aux minorités réellement menacées.
Dans plus d’un pays, les minorités souffrent en silence, et elles évitent de réclamer le respect de leurs droits par crainte, notamment, de déclencher de plus violentes réactions. En se portant à leur défense, le Canada les exposera parfois à des dangers dont Ottawa n’aura pas toujours les moyens de les protéger. Il faut, du reste, une diplomatie sans faille pour éviter, dans ces situations, les soupçons d’ingérence indue. L’histoire des migrations n’est-elle pas souvent aussi l’histoire des persécutions de minorités.
Le Bureau d’Andrew Bennett ne fera pas que « surveiller » le sort fait aux minorités religieuses à travers le monde. En plus de faire la promotion de la tolérance et du pluralisme, il lui reviendra de proposer à Ottawa des politiques et des programmes. Colloques et déclarations, certes, n’ont pas manqué sous le gouvernement Harper. Mais l’accueil des gens de minorités menacées, tels les quelque 20 000 réfugiés irakiens, dont de nombreux « catholiques chaldéens », est modeste en regard des urgences nombreuses ailleurs.
Car le Canada est déjà divisé entre ses régions et entre ses partis politiques. L’instabilité qui en résulte dans les gouvernements rend plus vulnérables aux manipulations partisanes les minorités dont le poids électoral peut faire la différence aux urnes entre la victoire et la défaite. La crainte de « l’arme démographique » agite l’Europe. Le Canada y aura échappé jusqu’à maintenant, la religion n’étant plus le principal élément de division.
Mais à en juger aux premières réactions, souvent négatives, que suscite le Bureau de la liberté de religion, les minorités religieuses gagneront à apprendre tôt comment s’intégrer à la vie du pays sans faire le jeu des partis, trop souvent plus intéressés par les votes que par les libertés.